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E. CHARTIER.le problème de la perception

entre la perception de et la perception de , lorsqu’on passerait d’un genre de perception à l’autre on ne saurait manquer de s’en apercevoir et d’éprouver un brusque changement : or il n’en est rien. D’où nous pouvons conclure, sans risquer beaucoup de nous tromper, que les points , si rapprochés qu’ils soient, ne sont jamais connus rigoureusement en même temps, et que la distance , si petite qu’elle soit, ne peut jamais être perçue que si la vue la parcourt par un mouvement. Seulement, ces mouvements devenant de plus en plus petits à mesure que la distance diminue, sont de moins en moins conscients ; de telle sorte qu’aucune distance ne serait donnée comme objet à la vue.

Mais s’il en est ainsi, le mouvement des yeux serait la condition nécessaire de toute perception visuelle. Une expérience connue vient confirmer cette supposition, et ruiner la croyance contraire du sens commun. On sait que si on parvient à immobiliser les yeux d’un sujet, ses autres sens ne percevant actuellement rien de notable, il cesse entièrement de percevoir, ce qu’on exprime en disant qu’il dort ; et ses yeux, devenus inutiles puisqu’ils sont immobiles, se renversent sous les paupières et prennent d’eux-mêmes la position du repos.

Le sens commun, ainsi dépossédé d’une certitude, se laissera moins facilement inquiéter dans ses croyances habituelles si l’on vient à parler du toucher : car ici il a un fait à nous opposer : la main, appliquée sur un objet, fait connaître immédiatement différents points de cet objet et la distance qui les sépare ; ainsi la distance, qui pour la vue est peut-être une notion acquise, serait du moins pour le toucher une notion primitive. Le fait allégué n’est pourtant pas décisif ; car si je puis maintenant percevoir une distance par le toucher sans faire aucun mouvement, cela résulte peut-être de ce que j’ai appris à connaître les dimensions constantes des parties de mon corps et particulièrement de ma main ; cette idée est d’autant plus vraisemblable que la connaissance des distances par la main immobile est très imparfaite, tandis qu’au contraire nous voyons les mains des aveugles dans un perpétuel mouvement. Enfin nous pouvons aller encore plus loin, et soutenir que la main, même appliquée sur un objet, n’est pas nécessairement pour cela tout à fait immobile. En effet ses parties sont capables les unes par rapport aux autres de petits mouvements qui peuvent faire varier à chaque instant les pressions respectives de ces parties sur l’objet ; de