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H. POINCARÉ. — Sur les principes de la Géométrie.

est limitée, cesse d’être homogène ; les portions voisines des bords cessent d’être assimilables aux portions voisines du centre.

Nous ne pouvons donc nous représenter les corps que dans ce que j’appellerai « l’espace sensible », qui n’a aucune des propriétés de l’espace géométrique, puisqu’il n’est ni infini, ni homogène, ni isotrope.

Sans doute je puis imaginer que je me transporte à tel point situé près du bord de cet espace sensible ; ce point devient alors le centre d’un nouvel espace sensible ; c’est en ce sens que je pourrais dire qu’il est assimilable au centre du premier espace sensible, ce qui rendrait à l’espace son homogénéité.

Seulement il y a là en réalité deux représentations distinctes et successives. Je me représente successivement l’espace sensible et l’espace sensible et il m’est impossible de les confondre dans une représentation unique. De quel droit alors déciderai-je que tel point β de l’espace sensible est identique à tel point α de l’espace sensible  ?

Je le ferai dans la pratique, parce que tel corps, que je considère comme immobile par une convention inconsciente, et qui occupait le point α dans l’espace occupera le point β dans l’espace .

Dans tous les cas la notion de l’identité de ces points α et β ne provient que d’habitudes d’esprit créées par une foule de raisonnements inconscients ou de réminiscences d’anciennes expériences. Cette notion n’est ni immédiate ni primitive.

Voyons ce qui concerne spécialement la distance. Dans cet espace sensible je me représente un point α près de mon œil, un point β à un mètre du premier, deux points γ et δ distants l’un de l’autre d’un mètre et éloignés de moi de 200 mètres. Oserais-je prétendre que je me représente la distance γ δ comme identique à la distance α β ? Je sais que ces deux distances sont égales, je ne le vois pas.

Sans doute je pourrais me transporter au point γ, et alors la distance γ δ me paraîtrait identique à ce qu’était d’abord la distance α β. Mais qu’ai-je fait ? J’ai fait une mesure ; je me suis servi de mon corps, transportant avec lui son espace sensible comme les géodésiens se servent de leurs instruments de mesure beaucoup plus perfectionnés. On en reviendrait ainsi à définir la distance par la mesure.

En résumé la distance sensible, seule susceptible de représentation, n’a rien de commun avec la distance géométrique, puisque les deux