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VARIÉTÉS.

mille, Tonino, après tout, ne faisait nullement tort au noble nom qu’il portait ; brave, actif, infatigable, rusé comme tous les Corses le sont, vindicatif comme ils se font gloire de l’être, il était, de l’aveu même de ses compagnons, le meilleur des 50 ou 60 hommes d’armes, espèce de clan guerrier que le chef de la famille, le sire de Guitera, pouvait armer au besoin. Dans toutes ses guerres contre les Génois, Tonino avait partagé ses fatigues, ses dangers et son lit de fougère, plus d’une fois il avait risqué sa vie pour sauver la sienne, et croyait, non sans quelque droit, pouvoir un peu compter sur la reconnaissance de son noble parent. Mais Tonino dans ce moment ne songeait pas à l’ambition ; d’autres pensées l’occupaient, et de ses jambes sèches et musculeuses, couvertes de guêtres grossières, il grimpait avec agilité un sentier où des chèvres et le chasseur corse peuvent seuls se hasarder.

Tonino aperçut bientôt ce qu’il cherchait ; c’était un troupeau de chèvres ; un chien seul les gardait, mais la bergère était absente, et cette bergère était sa fiancée. Anna Maria n’était peut-être pas la plus jolie fille de la pieve, mais Tonino le pensait, et que lui importait tout le reste ? Ses grands yeux noirs, son teint bruni, cet air de modestie souffrante et résignée qui est empreint sur le visage des femmes corses, ressortait encore mieux sous l’humble voile blanc qui la parait le dimanche ; et alors Tonino n’était pas le seul à la trouver jolie.

Il appela à haute voix — Anna Maria : personne ne répondit ; le vieil écho de la montagne de Bastelica répéta seul — Anna Maria. Triste et découragé, Tonino jeta autour de lui un œil égaré ; un bruit se fit entendre dans les broussailles, le jeune homme tressaillit. Anna Maria, sei tu ? s’écria-t-il, et il s’élança de ce côté ; mais quelle fut sa surprise en voyant sortir du buisson la longue plume, la haute carabine et la taille chétive et grêle de son noble cousin, le seigneur de Guitera !