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LES ALBANAIS EN ITALIE.

Pouqueville. Quelques refrains amoureux se sont mieux conservés, quoique tous soient mutilés[1]. Comme toutes les chansons populaires, celles-ci ont de la concision et de la rapidité ; il règne dans plusieurs une imagination fantastique, qui se joue avec la nature, et la plie à ses caprices. Elles ont une harmonie lente et monotone, celles surtout où se trouvent des répétitions. Les sons albanais ont quelque chose d’âpre ; on sent bien que c’est là un idiome de montagnes.

Les gens du pays ont de la difficulté à l’écrire. Certains sons n’ayant pas de signes, il faut recourir à la convention. Ils ont cependant des poètes satiriques, car la langue se prête à l’épigramme ; mais ces chansons n’ont d’intérêt que pour eux : ce sont des personnalités locales, et quelques satires contre le gouvernement, que l’on chante bien bas, dans le mystère de la plus étroite intimité.

La tradition populaire parle d’un frère cadet de Scander-Beg, qu’elle nomme Constantin-le-Petit, et qui est le sujet de plusieurs ballades. J’ai sauvé la suivante du naufrage, c’est la seule complète :

« Constantin-le-Petit, trois jours avant de se marier, eut un songe, un songe épouvantable ; il se réveilla en sursaut, et poussa un soupir si fort, que son seigneur l’entendit.

  1. En voici un dont je regrette la fin : « La jeune épouse traversa la neige jusqu’à la ceinture, rompit la glace jusqu’au genou, et entra dans la prison (turannida) où gémissait son seigneur (son mari), le seigneur qu’elle adorait. Elle le délivra et s’emprisonna à sa place, puis elle se mit à entonner des chants funèbres : Ô mon seigneur ! je t’en conjure par ta jeunesse, par ta vie, ne donne pas à l’herbe le temps de croître sur mon corps, sinon je vais m’abandonner au désespoir ; je vais laisser flotter mes longs cheveux, mes cheveux entrelacés de fils d’or… » Le reste est perdu.