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LES ALBANAIS EN ITALIE.

On dirait un costume indien ; mais les filles de San-Constantino ne sont pas des bayadères.

À la vue de ces étranges figures qui circulaient d’un pas lent et grave sur la neige de la montagne, aux sons de cette langue âpre et agreste comme la nature que j’avais sous les yeux, aux cris d’effroi des enfans, qui, frappés à ma vue d’une terreur panique, s’enfuyaient sur mon passage en criant, et se réfugiaient dans l’ombre des chaumières enfumées, j’aurais pu me croire partout ailleurs qu’en Italie, qu’en Europe, si le costume banal et européen des hommes n’eût détruit l’illusion.

Les pauvres Albanais jetés sur ces hauteurs n’ont pas eu le premier lot au jour du partage. Depuis plus de trois siècles, ils font violence à une nature avare, à laquelle il faut tout arracher. Des châtaignes, un peu de blé et de mauvais vin dans les parties basses paient à peine leurs fatigues de toute l’année. Plus haut qu’eux encore, à Casalnuovo, sont relégués d’autres Albanais, leurs frères en exil et en misère. Plus pauvres que leurs compatriotes de Calabre, ils ont en commun avec eux le culte et le langage. Habitans de lieux plus élevés, d’un climat plus froid, enfermés la moitié de l’année dans la neige, ils sont adonnés au vin et aux épices fortes : ils font, entre autres, un grand usage de poivrons (peperoni) à emporter le palais.

J’espérais recueillir quelques chants nationaux : vain espoir ! Si on reproche aux habitans leur incurie, ils en accusent aussi les disgrâces politiques, qui ne les ont point épargnés dans leur misère. Il n’y a qu’un cri dans ce malheureux royaume, et c’est un cri de deuil. La tristesse est dans tous les cœurs, le découragement enchaîne tous les bras, et au milieu de tant de souffrances,