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LITTÉRATURE.

rien, ne voulut rien, et voici à quelle occasion seulement il reçut une pension du roi.

C’était après la conspiration de Saumur ; Delon, son ancien camarade d’enfance, venait d’être condamné à mort, et la police cherchait à l’atteindre. Victor avait cessé de le voir depuis quelques années, à cause de la profonde division de leurs sentimens politiques. Mais il apprend son danger ; il avait deux logemens, celui de la rue du Dragon, qu’il occupait, et celui de la rue Mézières, abandonné depuis peu et disponible ; vite il écrit à la mère de Delon, lui offrant un asile sûr pour son fils. « Je suis trop royaliste, madame, lui disait-il, pour qu’on s’avise de le venir chercher dans ma chambre. » La lettre fut simplement adressée à madame Delon, femme du lieutenant de roi, à Saint-Denis, et mise à la poste. Nulle réponse : Delon s’était déjà soustrait aux poursuites. Deux ans après, comme Hugo passait la soirée chez un académicien, long-temps mêlé à l’administration secrète, celui-ci, à propos d’un incident de la conversation, le plaisanta sur ses intelligences avec les conspirateurs, et lui fit une leçon de prudence. Hugo n’y comprenait rien : il fallut lui expliquer que, dans le temps, sa lettre avait été décachetée à la poste, et mise le soir même sous les yeux du roi Louis xviii, comme c’était l’usage pour toutes les révélations de quelque importance. Louis xviii, après l’avoir lue, avait dit : « Je connais ce jeune homme ; il se conduit en ceci avec honneur ; je lui donne la prochaine pension qui vaquera. » La lettre, recachetée par les suppôts de police, n’était pas moins arrivée à madame Delon, qui aurait pu donner dans le guet-apens. D’autre part, le brevet de pension était aussi arrivé à Victor Hugo vers l’époque où parut son premier volume d’odes, et il avait attribué cette faveur royale à sa publication récente ; il n’en sut que plus tard la vraie origine.


Victor Hugo, après avoir passé la belle saison de 1822 à Gentilly, près de la famille de sa fiancée, se maria au mois d’octobre, et dès lors son existence de poète et d’homme fut