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SCÈNES HISTORIQUES.

les peines de sa maîtresse une douleur personnelle non moins vive : la reine perdait le bonheur de l’amour ; Charlotte en perdait l’espérance. Charlotte était la plus à plaindre.

La reine reprit :

— Tu pleures, Charlotte… tu pleures !… et celui que tu aimes te reste !… car vous ne serez séparés, vous autres, que par une absence momentanée !… Tu pleures ! et cependant j’échangerais mon sort de reine contre le tien… Tu pleures !… mais tu ne sais donc pas, moi qui ne peux pas pleurer, que je l’aimais Bourdon, comme tu aimes ce jeune homme. Eh bien ! ils le tueront, vois-tu ; car ils ne pardonnent pas… Celui que j’aime autant que tu aimes celui-ci, ils le tueront, et je ne pourrai rien pour empêcher cet assassinat, et je ne saurai pas à quel moment ils lui enfonceront le fer dans la poitrine, et toutes les minutes de ma vie seront pour moi celle de sa mort, et je me dirai à chaque instant, à cette heure peut-être il m’appelle, il me nomme, il se débat dans son sang et se tord dans l’agonie, et moi, moi, je suis là, je ne peux rien, et cependant je suis reine, reine de France !… Malédiction ! et je ne pleure pas, et je ne puis pas pleurer…

La reine se tordait les bras et se meurtrissait la figure ; les deux enfans pleuraient, non plus de leur malheur, mais de celui de la reine.

— Oh ! que pourrons-nous faire ? disait Charlotte.

— Ordonnez, disait Leclerc.

— Rien, rien… Oh ! tout l’enfer est dans ce mot. Être prêt à donner son sang, sa vie, pour sauver celui qu’on aime, et ne pouvoir rien !… Oh ! si je les tenais ces hommes qui se sont fait deux fois un jeu de me torturer le cœur !… Mais rien contre eux, rien pour lui ; j’ai été puissante cependant : dans un moment de folie du roi, j’aurais pu lui faire signer la mort du connétable, et je ne l’ai pas fait. Oh ! insensée, j’aurais dû le faire… C’est d’Armagnac maintenant qui serait dans un cachot, en face de la mort, comme il l’est, lui !… lui, si beau, si jeune ! lui, qui ne leur a jamais rien fait !… Ah ! ils le tueront comme ils ont tué