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REVUE. — CHRONIQUE.

Quoi qu’il en soit, prenez-y garde, monsieur de Salvandy : vous voici véhémentement soupçonné d’avoir entretenu des relations avec un grand poète, avec un homme de génie ! Et cet homme de génie, feu M. Auger, comme chacun sait, l’a fait mettre au ban de l’Académie ! Et vous alliez être de l’Académie. Monsieur de Salvandy, prenez-y garde.

Nous venons d’indiquer les nouveautés théâtrales les plus remarquables des derniers jours ; d’ailleurs point d’évènemens littéraires, point de scandales intéressans à signaler. Les ordonnances et instructions expresses de la médecine ayant mis les esprits et les cœurs à la diète, ainsi que les corps, les intelligences se montrent très sobres, et l’amour se conduit avec une réserve et une prudence exemplaires : c’est que M. Broussais surtout, le plus noir, le plus inexorable de nos docteurs, interdit rigoureusement, et sous peine de choléra immédiat, toute espèce d’émotion vive, tout épanchement de tendresse. Hélas ! mesdames, qu’en dites-vous ? Que vont devenir les âmes aimantes à ce régime ?


ROMANS DE VICTOR HUGO, nouvelle édition[1].

Autant il importe que la critique, tout en demeurant digne et mesurée, se montre néanmoins sévère et dédaigneuse pour ces médiocrités bien constatées, chez lesquelles nul germe de talent n’autorise l’espoir d’un meilleur avenir, autant il convient que justice pleine et entière soit rendue par elle à l’artiste véritable ; qu’elle fasse cause commune et lutte avec lui, s’il combat encore, ou bien si, vainqueur, il s’est enfin élevé sur le pavois, qu’elle salue son triomphe, et joigne son adhésion à toutes celles qu’il a déjà obtenues ou conquises.

Certes M. Victor Hugo n’a maintenant nul besoin de la nôtre. Voici déjà long-temps que son avènement est proclamé et que les voix éloquentes l’ont consacré. Déjà dans cette Revue le plus ingénieux et le plus fin de nos critiques a peint de main de maître toute la vie littéraire de M. Victor Hugo. Cependant, poète lui même, par une sympathie que l’on comprend, c’est surtout le pacte que l’auteur des Consolations a cherché à faire ressortir dans celui des Orientales et des Feuilles d’automne. Mais aujourd’hui que se publie une nouvelle édition des romans de M. Victor Hugo, c’est le cas de montrer plus spécialement en lui le romancier. Nous passerons donc sommairement en revue ces romans tant de fois et si souvent jugés chacun en son temps. Il ne sera peut-être pas sans intérêt de les considérer de nouveau, à distance, maintenant que le grand bruit qui s’est fait autour de leur première publication s’est apaisé, maintenant qu’ils occupent paisiblement le haut rang auquel ils se sont placés, en dépit de toute opposition.

Nous sommes de ceux qui aiment à classer par ordre de naissance les œuvres d’un écrivain. Grâce à Victor Hugo, nous savons que Bug-Jargal est l’aîné de ses romans. Il fit ce livre en 1818, deux ans avant Han d’Islande, ayant seize

  1. Chez Renduel.