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ans. Il avait alors parié qu’il écrirait un volume en quinze jours. — Seize ans, dit-il lui-même, c’est l’âge où l’on parie pour tout et où l’on improvise, sur tout ; — où l’on fait tout vraiment, excepté pareilles choses. Au surplus, quoiqu’en 1825 l’auteur ait remanié Bug-Jargal et l’ait récrit en grande partie, ce livre n’en est pas moins, et par le fond et pour beaucoup de détails, son premier ouvrage. Il en avait emprunté l’idée première à l’histoire de la révolte des esclaves de Saint-Domingue en 1791. C’était débuter hardiment et placer déjà haut la scène. Cependant le drame du jeune homme ne fut pas indigne du théâtre neuf et large sur lequel il le faisait jouer. La fable tirant des circonstances et des localités un vif caractère d’intérêt et d’originalité, est d’ailleurs habilement ourdie et marche rapide et pressée vers un dénouement des plus pathétiques. Il y a beaucoup de grâce et de douceur, un charme infini dans l’amour de Marie et de Léopold d’Anverney. C’est bien là le premier amour, l’amour de seize ans. Il ne pouvait être écrit qu’à cet âge, ce livre dans lequel on respire toute la fraîcheur parfumée d’une de ces douces matinées d’été, qui promettent une journée brûlante et magnifique.

Mais après Bug-Jargal se présente à nous d’abord Han d’Islande. Han d’Islande ! — Voila le plus gros péché de M. Victor Hugo. Ce sera bien le dernier dont ces messieurs de l’Académie lui donneront l’absolution. — La plupart ne connaissent pas le livre. Qu’importe ? Han d’Islande ! Le titre dit tout ! Ce doit être quelque chose d’absurde, de ridicule, de monstrueux, d’immoral ! Han d’Islande ! cela ne se lit point. Aussi ont-ils condamné l’ouvrage par contumace. Cependant nous qui, moins scrupuleux, au sortir du collège, avons lu ce roman de jeune homme ; jeunes hommes nous-mêmes, nous l’avons réhabilité bien vite. Il a frémi sur toutes nos lèvres ce chaste baiser qu’Ordener prend sur les lèvres d’Ethel dans le noir corridor de la tour. Ce baiser, nul de nous ne l’a depuis oublié. C’est qu’il était pour nous comme une ablution. Il semblait que ce pur et nouvel amour avec lequel sympathisaient nos âmes, les lavât des souillures qu’y avaient laissées le Faublas et tout ce qu’en cachette, au lycée, dans notre ardente et inquiète curiosité, nous avions pu parcourir de sales et honteux ouvrages. Ce roman de poète nous rangeait du parti de la réaction qui se préparait contre M. Pigault-Lebrun et son école fangeuse. Quelle verve d’imagination d’ailleurs encore dans ce livre ! Que de fantaisie et de rigueur ! — Il y avait là telle page sur les exécutions publiques, où l’on pouvait découvrir en germe tout le Dernier jour d’un condamné.

Cette œuvre ne devait cependant éclore et se produire qu’en 1829. — Mais Cromwell, la seconde partie des Odes, les Ballades et les Orientales, font une magnifique transition de Han d’Islande au Dernier jour d’un condamné.

À vrai dire, ce n’est point un roman que le Dernier jour d’un condamné. C’est quelque chose de plus haut ; c’est un livre à part, un livre dont on n’avait pas l’idée et qu’on n’imitera point ; c’est une création qui doit demeurer isolée, unique dans l’art. Après cela, si bon vous semble, et comme le veut bien lui-même l’auteur, nommez l’ouvrage un plaidoyer, j’y consens aussi. Au moins celui-là n’est pas de ceux qu’on déclame au palais ; il n’y a rien la du pro-