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d’un métal inconnu, soutenu par quatre caryatides, qui ont d’affreuses figures. Celle du Christ en bois est encore plus affreuse. Cette tête de Christ, couverte de cheveux et d’épines naturels, le visage barbouillé de sang, est sans doute l’image accomplie de l’agonie d’un homme, mais non pas de l’agonie d’un dieu. La souffrance matérielle y est parfaitement exprimée, mais nullement la poésie de la douleur. Une telle image convient mieux à un amphithéâtre anatomique qu’à une maison de prière.

Mon auberge était près du marché, et j’aurais pris goût à mon dîner, si mon hôte n’était venu m’apporter sa longue figure superflue et ses ennuyeuses questions. Heureusement je fus bientôt délivré par l’arrivée d’un autre voyageur qui eut à subir les mêmes questions, et dans le même ordre. Cet étranger était un vieil homme usé, las, fourbu, qui avait parcouru l’univers entier, ainsi qu’il résultait de ses discours, qui avait long-temps vécu à Batavia, gagné beaucoup d’argent, tout perdu, et qui revenait maintenant, après une absence de trente années, à Quedlimbourg, sa patrie ; car, ajoutait-il, notre famille a là sa tombe héréditaire. L’hôte, en homme éclairé, remarqua qu’il importe peu pour l’âme en quel lieu le corps est enterré. — « En êtes-vous sûr ? dit l’étranger d’un air soucieux. « Mais reprit-il, je ne veux pas dire du mal des tombeaux étrangers. Les Turcs enterrent leurs morts encore plus joliment que nous ; leurs tombeaux sont de beaux jardins et ils viennent se reposer sur leurs tombes blanches, ornées de turbans, à l’ombre d’un cyprès sous lequel ils fument tranquillement leur tabac turc, dans leurs longues pipes turques ! — Et chez les Chinois ! c’est vraiment un plaisir que de les voir comme ils dansent dans leurs cimetières, comme ils y boivent du thé, comme ils y jouent du violon, et comme ils savent orner gentiment les tombeaux avec toute sorte d’ornemens dorés, de magots de porcelaine, d’étoffes de soie bariolés, de fleurs artificielles et de lanternes de couleur. — Tout cela est fort beau. — Combien y a-t-il encore d’ici à Quedlimbourg ? »

À mon départ de Goslar, le soleil était en son plein ; je con-