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conséquences que signale mistress Trollope : la première, c’est que les femmes, obligées de mettre la main à tout, n’ont aucun loisir pour développer leur esprit ; de là leur profonde insignifiance dans tous les états où il n’y a pas d’esclaves ; la seconde, c’est que les classes riches sont infiniment plus distinguées, les femmes surtout, et la vie infiniment plus agréable et plus policée dans les provinces à esclaves : de là une raison de plus pour qu’elles résistent à l’abolition de l’esclavage. Tant il est vrai que l’excès, même dans les choses qui paraissent le plus favorables au bien de l’humanité, tourne toujours en définitive à son détriment. Cette même susceptibilité démocratique des classes inférieures se présenta à mistress Trollope sous une autre forme, durant son séjour à la campagne.


« Il n’y avait pas trois jours que j’étais établie à Mohawk, lorsqu’un couple d’enfans en haillons, vint me demander je ne sais plus quel remède pour leur mère qui était malade. Quand ils l’eurent, le plus grand tira de sa poche une poignée de petite monnaie, et me demanda combien il devait me donner. — Nous ne consommions pas tout le lait de notre vache ; on le sut et on vint me le demander, mais tous ceux qui se présentaient offraient de payer. — Lorsqu’ils virent enfin que la vieille Anglaise ne voulait rien vendre, je suis persuadé qu’ils ne l’en aimèrent pas davantage ; mais ils parurent penser que si elle était folle, ce n’était pas une raison pour qu’ils le fussent aussi, et ils ne cessaient de venir emprunter telle ou telle chose, comme ils disaient, mais toujours d’une manière et avec des formes qui mettaient à couvert leur dignité et leur indépendance. Une femme me faisait prier de lui prêter une livre de fromage ; une autre une demi-livre de café. Souvent une demande de lait m’arrivait avec la condition qu’il fût bien frais et non écrémé. Une fois le messager refusa le lait en me disant avec dignité : « Ma mère avait seulement besoin d’un peu de crème pour son café. »

« Je ne pus jamais leur persuader, pendant plus d’un an que