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MŒURS DES AMÉRICAINS.

j’habitai le village, que je n’entendais point vendre les vieilles hardes que je leur donnais. Ils étaient si obstinément décidés à faire du commerce avec moi, que tout en prenant ils me disaient : « À la bonne heure, mais je compte que vous me ferez travailler pour cela ; envoyez-moi chercher quand vous aurez besoin d’un coup de main. » Cependant comme je ne les envoyais jamais chercher, et qu’ils ne laissaient pas de me répéter constamment la même formule, je commençai à soupçonner qu’ils ne parlaient ainsi que pour éviter cette phrase, la plus odieuse de toutes aux Américains : « Je vous remercie. »


Ici encore il y a excès d’un bon principe, et cet excès produit du mal. La charité est une chose inconnue en Amérique, et la reconnaissance y est un sentiment insupportable. En revanche on y trouve l’orgueil sous toutes les formes possibles.

Mistress Trollope ne se trouva pas plus à l’abri des conséquences de l’égalité à la campagne qu’à la ville. Le passage qui suit est curieux sous plus d’un rapport.


« Dans les premiers temps, la familiarité extraordinaire de nos pauvres voisins de campagne nous confondait, et nous ne savions ni comment recevoir leurs étranges avances, ni de quelle manière nous devions y répondre. Cependant cette familiarité produisait quelquefois des scènes très plaisantes. Un jour mes deux fils étaient allés faire une promenade de découverte sur les collines du voisinage ; leur retour se fit attendre, et nous nous décidâmes à aller à leur rencontre. Nous savions la direction qu’ils avaient prise, mais nous trouvâmes bon cependant de frapper à la porte d’une petite auberge située au pied des collines, afin de savoir si on les avait vus passer. — Une femme que je ne puis mieux comparer qu’à celles qui vendent des herbes au marché de Covent-Garden, sortit, et répondit affirmativement à notre question du ton le plus familièrement jovial ; mais elle ne s’en tint pas là, et se joignit à nous pour nous aider