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France, monsieur ! et vous me demandez où en sont nos poètes ! Croyez-vous donc que les poètes poussent aussi vite que les peupliers de nos campagnes ? Encore faut-il vingt ans aux peupliers pour grandir et pour faire entendre dans l’air leur poétique frissonnement. Bonaparte ! mais songez donc à cela : quand l’Empire français était encore tout chaud, quand les rois de l’Europe étaient encore tout pâles, pâles de leur défaite et pâles de leur victoire ; quand Sainte-Hélène, le petit rocher, était encore si inconnu aux navigateurs, qu’il fallait souvent le chercher tout un jour pour l’apercevoir dans la vaste mer, ce point si lumineux dans l’histoire ; songez à cela, vous dis-je, à Bonaparte mort, à lui-même ! Peu s’en est fallu que la poésie ne lui manquât. J’entends la poésie telle que nous l’avons chez nous, la poésie nationale, comme on dit, pour ne pas dire la poésie médiocre ; la monnaie courante poétique en un mot, celle qui se dépense au jour le jour, et à laquelle il ne faut pas regarder de trop près, puisque, à tout prendre, la poésie de notre temps et depuis bien long-temps est descendue au rang de ces prostituées encore jolies et toujours complaisantes, qui donnent bien tout ce qu’elles ont, mais qui en fin de compte ne peuvent jamais donner que ce qu’elles ont.

Eh bien ! la poésie de la restauration a été long-temps à hésiter avant de donner même ce qu’elle avait au tombeau de Bonaparte. Bonaparte mort, le monde restait muet ; c’était une nouvelle hurlée dans les rues de Paris par le crieur public, et rien de plus. On se soumettait à attendre encore cent ans au moins avant que ce fût là une gloire consacrée. On appliquait à Bonaparte une règle d’Aristote, écrite sous le règne de Philippe de Macédoine. Les imbécilles ! il fallut chez nous, pour que Bonaparte fût reconnu un sujet d’ode assez beau, un sujet aussi beau qu’Auguste vainqueur des Parthes, dans Horace ; il fallut que, loin de la France, en Angleterre, dans la patrie de Wellington, un poète, un aristocrate, un dandy, se rencontrât qui jugeât Bonaparte digne de son génie. Lord Byron ! ce fat sublime, ce railleur si désespéré et si désespérant, cet orgueilleux si naïf et si admirable ; cette haute et dédaigneuse passion, qui s’exprime