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Il raconte que le libraire auquel il s’adressait pour acheter un Du Chêne, lui apportait un Lucien, et que quand il demandait son logis (la louchi), on lui répondait : Je ne connais point mademoiselle Lucie.

Ne pouvant, d’après ces aveux, beaucoup profiter de la conversation parisienne, il passait une partie de son temps dans les jardins publics qu’il trouvait très fréquentés, et dans les bibliothèques où il ne rencontrait personne, si ce n’est quelques étudians qui arrivaient avant que la porte s’ouvrît, et alors se précipitaient dans les salles, chacun s’efforçant d’arriver le premier pour pouvoir s’emparer du Dictionnaire de Bayle, la nouveauté littéraire de ce temps où l’on se ruait encore sur les in-folios comme aujourd’hui sur les brochures.

On est étonné d’entendre Holberg dire en arrivant à Lyon : « Il me semblait entrer dans un monde nouveau, tant les habitans de Lyon différent de ceux du nord de la France par la langue, les mœurs et la manière de vivre. » Pour effacer ce caractère local, si frappant pour un étranger, et qu’il ne retrouverait plus, qu’a-t-il fallu ? Un siècle, et la révolution française.

La curiosité passionnée d’Holberg pour tout ce qui était nouveau à ses yeux, se trahit par cette confession naïve. « Je vis à Marseille beaucoup d’Orientaux (ils y sont plus rares aujourd’hui), une grande quantité de galères, et beaucoup de captifs turcs et chrétiens, qui traînaient à travers la ville les fers rivés à leurs mains ou à leurs pieds. Ce spectacle était fait pour arracher des larmes, mais chez moi il éveillait une sorte de plaisir, parce que je n’avais encore rien vu de semblable. »

Dans ce voyage, Holberg se montre toujours le même, toujours entraîné par son ardeur de connaître, surmontant toutes les difficultés, se résignant à toutes les privations et parfois se jetant dans les plus grands embarras pour la satisfaire ; de plus sans cesse malade et traînant à travers la France et l’Italie une fièvre dont à son retour, il fut subitement guéri par un concert. Au milieu de ses misères, de ses périls, on le voit constamment soutenu par le désir d’observer la nature humaine, et surtout d’en saisir le côté ridicule ; tantôt accablé