Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 8.djvu/112

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
106
REVUE DES DEUX MONDES.

en Amérique ne soit pas ce qu’il y a de mieux au monde, vous produirez autour de vous un effet qu’il faut avoir vu et senti pour le comprendre. Et cependant si les citoyens des États-Unis étaient les patriotes dévoués qu’ils ont la prétention d’être, à coup sûr ils ne consentiraient pas à s’enfoncer ainsi dans la conviction étroite qu’ils sont la première et la meilleure partie de la race humaine, qu’il n’y a rien qui vaille la peine d’être appris que ce qu’ils sont capables d’enseigner, et rien qui vaille celle d’être désiré que ce qu’ils possèdent eux-mêmes.

« Il serait difficile à l’intelligence humaine d’imaginer un plus puissant obstacle à tout perfectionnement qu’une telle conviction, et cependant je n’ai pas entendu un discours, je n’ai pas lu un livre adressé à la nation dans lequel on ne s’efforçât de l’imprimer dans son esprit.

« Ce n’est pas le moyen d’être agréable aux Américains que d’émettre l’idée qu’après tout, il n’est pas impossible que, dans sa marche silencieuse, le temps apporte un jour quelque modification à leur gouvernement adoré, et en vérité cependant ils auraient tort de concevoir une pareille crainte. Aussi long-temps que par un commun accord ils pourront tenir abaissée la prééminence attachée par la nature aux facultés supérieures, et empêcher le respect et la considération de se fixer sur l’élévation du génie, la noblesse des manières et la grandeur de la position sociale, ils peuvent être tranquilles ; leurs institutions subsisteront.

« On m’a dit qu’il y avait en Amérique des hommes qui verraient un changement avec plaisir, des hommes qui ont assez de sagesse et de candeur pour désavouer une égalité dont ils sentent et la fausseté et l’impossibilité.

« Je ne sais si ces hommes existent, mais jamais de pareilles opinions ne m’ont été communiquées ; tout ce que je puis dire, c’est que je serais heureuse de voir le pouvoir passer dans de telles mains.

« Si cet événement arrive un jour, si des idées plus libérales et des goûts plus élégans se répandent en Amérique, si ses habitans consentent enfin à faire quelque sacrifice aux grâces, et à accorder quelque considération aux sentimens plus délicats des nations policées, alors nous éprouverons un double plaisir, celui de dire adieu à l’égalité américaine, et celui d’accueillir dans la communauté européenne une des plus belles contrées du monde. »


Th. Jouffroy.