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ROMANS PROVENÇAUX.

fondamentales, les matériaux primitifs du roman de Guillaume-au-court-Nez ne soient provençaux.

Maintenant, ce roman de Guillaume, tel qu’il existe aujourd’hui en français, présente une singularité que j’ai déjà notée en passant, mais sur laquelle il importe de revenir d’une manière plus expresse. À une époque qu’il ne s’agit pas encore de déterminer, toutes les traditions poétiques, tous les chants épiques sur les exploits du duc Guillaume-le-Pieux, ont été amalgamés avec d’autres traditions, enveloppés et comme fondus dans d’autres chants populaires, dans d’autres fables romanesques, relatifs à d’autres incidens des guerres du midi contre les Arabes, relatifs à la conquête de la Septimanie et de Narbonne. Cette conquête a été attribuée à un comte, à un paladin du nom d’Aymeric, dont on a fait la souche d’une nombreuse lignée de héros qui se signalent tous par de grands exploits contre les Sarrasins. On a fait de Guillaume-le-Pieux un des fils de ce comte Aymeric : on lui a donné pour frère le fameux Gérard de Roussillon. En un mot, les personnages romanesques les plus célèbres du cycle carlovingien ont été groupés autour d’Aymeric de Narbonne, comme ses proches ou ses descendans ; toutes leurs prouesses ont été rattachées aux siennes, et toutes les guerres postérieures à la conquête de Narbonne ont été considérées comme le complément ou comme des épisodes de cette conquête. — Il ne faut pas oublier de noter que cet Aymeric du roman de Guillaume-au-court-Nez meurt de blessures reçues dans une grande bataille contre les Sarrasins.

Il ne s’agit pas d’examiner ici jusqu’à quel point a été ingénieuse ou heureuse cette tentative pour coordonner, dans un seul et même ensemble, toutes les traditions poétiques, toutes les fables romanesques relatives aux guerres des chrétiens de la Gaule contre les Arabes d’Espagne. Je me borne à observer que cette tentative était tout-à-fait dans la nature des choses, et l’on peut être sûr qu’elle ne fut faite que dans un pays où il y avait déjà beaucoup de chants ou de romans épiques détachés sur les divers incidens de l’événement général auquel ces chants et ces romans se rapportaient tous. Il n’est donc pas indifférent, dans la