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ASPIRANT ET JOURNALISTE.

Ainsi, c’est l’opinion d’hommes de vingt ans que l’on consultait pour défaire leur avenir ! On les sacrifiait à une délation ou à une de leurs paroles étourdies ! Et les Bourbons se sont étonnés de trouver ensuite leurs adversaires, ces mêmes hommes de vingt ans, à qui ils avaient appris leur importance, car aucun de nous ne s’était trompé sur la cause de sa disgrâce ; elle ne nous avait pas été avouée, mais au train dont allaient les choses, après la seconde restauration, nous l’avions dû deviner. Depuis long-temps j’ai pardonné au ministre extravagant de Louis xviii la longue misère à laquelle il me condamna ; c’est à lui que je dois la douce existence d’artiste dont je jouis, et cette médiocrité tranquille que me rendent si précieuse la constante amitié des officiers, mes anciens camarades, l’intimité de quelques hommes de lettres et de quelques artistes des plus distingués de notre époque, et la conscience que j’ai de n’être l’objet d’aucune malveillance de la part de qui me connaît un peu, parce que je n’ai jamais été jaloux de personne, et qu’autant que je l’ai pu, j’ai été bienveillant pour tout le monde. Un critique fort spirituel, et ordinairement moins indulgent, M. Gustave Planche, a dit : — c’était trop de bonté de s’occuper de moi ! — « Il ne restera rien de cet écrivain ; mais il n’a point d’ennemis. » Et que m’importent après cela mes livres ! ai-je jamais compté d’ailleurs sur l’avenir ? la mémoire des lecteurs, ai-je jamais espéré de la fixer plus de deux jours ? Que mon souvenir reste au cœur de mes amis ; puis-je avoir un autre souhait à faire ?…

Et voilà que je me laisse aller à un mouvement d’orgueil ; je m’étais bien promis pourtant de m’en défendre ! Mais n’y a-t-il pas de quoi être fier d’un éloge aussi rare ? J’aurais fait le Contrat social, l’Essai sur les Mœurs, et tout ce que fera sans doute l’ingénieux flatteur à qui j’adresse ici mes remercîmens, que je donnerais cela volontiers pour que M. Planche eût dit vrai.

Quand vint la première restauration, nous étions à Brest, sur le vaisseau où l’empereur avait voulu que nous apprissions notre métier. Personne à bord du Tourville, pas même notre commandant, M. Faure de la Creuze, qui avait été membre de la convention, ne savait qu’il existât quelque part au monde des Bour-