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bons ; personne surtout ne pensait qu’un Bourbon pût succéder au trône de l’empereur. Aussi, quand la première fleur de lis nous arriva à la tête d’un journal, quand on nous annonça l’entrée à Paris d’un frère de Louis xvi, et le règne continuant du successeur de Louis xvii, mort au Temple, nous ne comprîmes rien à tout cela. Nous crûmes que Paris était devenu fou ; il y eut en nous un moment de doute et d’hésitation auquel succéda une morne tristesse. Cependant l’empire nous avait appris à obéir sans discuter, et nous obéîmes. Les derniers événemens ayant retardé le jour de notre promotion, nous espérions que bientôt le ministère songerait à nous. Nous attendîmes long-temps ; et, à la fin, le 10 février 1815, nous fûmes nommés aspirans de première classe. Il y avait trois ans et demi que nous étions à l’école où nous devions rester trois ans au plus. Nous quittâmes tous Brest pour aller dans nos familles.


J’étais à Paris quand la nouvelle s’y répandit du débarquement de Napoléon à Fréjus ; je me souviens de cela, comme s’il y avait huit jours. Le télégraphe avait apporté le 5 mars, vers l’après-midi, le bulletin de cet événement qui devait changer encore une fois la face du royaume ; le gouvernement le tint secret toute la soirée. Cependant de vagues rumeurs couraient dans les théâtres et dans cette vieille galerie de bois du Palais-Royal, où se promenaient, chaque soir, un grand nombre d’anciens militaires assez peu amis de la cour. On ne savait ce dont il s’agissait, mais on était certain qu’il y avait quelque chose. L’événement était fort inattendu, au moins, de la majorité de la population, tellement que lorsque le 6, à huit heures du matin, tout Paris sut que l’empereur avait touché la côte de France malgré la croisière de l’île d’Elbe, personne n’y crut d’abord. L’aspect de la ville était étrange. Ce qu’il y avait d’inquiétude, d’assurance, de tristesse morne, de joie mal dissimulée, de crainte et d’espérance sur la physionomie de cette grande cité qui avait tant regretté Napoléon et si bien fêté Louis xviii, ne saurait se dire. Il fallait voir les vieux courtisans des Bourbons accourir dès le matin aux Tuileries pour savoir si la rumeur publique