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LE ROI S’AMUSE.

non-seulement son dessein direct et visible, celui que la foule saisit, mais encore, pour les esprits sévères, le sens mystérieux, le sens symbolique. Puisqu’il s’agit de François i, et non pas d’un autre, le poème doit être la vivante expression des mœurs et des passions de son temps.

Or, à quelles conditions cette loi poétique peut-elle s’accomplir ? N’est-il pas indispensable que l’œil rencontre, à de certains intervalles, des signes irrécusables de la date assignée par l’auteur à l’action qu’il invente et qu’il déroule devant les spectateurs ? Derrière l’idéalisation d’un siècle traduit et résumé en une action réelle ou possible, il doit toujours y avoir une idée philosophique ; la beauté du rhythme et des images ne sera que l’enveloppe plus ou moins éclatante où se cache ce dessein, qui, pour être voilé, n’en est pas moins réel. Si le poète interprète à sa manière un siècle donné, nous ne pouvons accepter l’interprétation qu’il propose sans avoir préalablement reconnu les temps et les lieux.

Je crois donc que M. Hugo a eu tort de violer cette loi, selon moi fondamentale. Au Louvre, on devait se souvenir de Marignan ; les courtisans devaient s’entretenir de Charles-Quint ; les envieux se railler de l’échec du roi dans l’élection impériale ; les fats se vanter de leurs dépenses au camp du drap d’or, les intrigans raconter les projets du cardinal Wolsey ; l’Espagne et l’Angleterre devaient se trouver sur toutes les lèvres. Puisque M. Hugo nous mène à la cour, je ne vois pas pourquoi il nous fait grâce des caquets et des médisances où les plus grands événemens se mêlent parfois, à la cour surtout. Dans les trente années de ce règne, glorieux selon les femmes et les romanciers, très-inutile et très-ridicule selon les penseurs, il a sans doute préféré une date plutôt qu’une autre. Mais laquelle ? Il serait très-difficile de la deviner : de Louise de Savoie, de Semblançay, du connétable, de Lautrec, il n’est pas dit un mot : de la bataille de Pavie, de la captivité de Madrid, rien : de la triple rivalité de Charles-Quint, de Henri viii et de François Ier, il n’y a pas trace, si minime qu’elle soit ; le voyage imprudent de Charles d’Espagne, les conseils malheureux de Montmorency, les intrigues d’Anne de Pisseleu, depuis duchesse d’Étampes, auraient pu servir à marquer nettement la date préférée par M. Hugo. Je suis très-disposé à