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qu’elle se mit à compter en les étalant sur le velours vert du rebord de la loge.

— Voici trois francs, ajouta-t-elle d’une voix plus éclatante encore ; avec les quarante sous du bouquet, cela fait bien les cinq francs de monsieur.

Peut-être en me mortifiant ainsi, la perfide marchande de fleurs avait-elle voulu me pousser à bout, et s’imaginait-elle que j’allais lui jeter au nez toute cette mitraille qu’elle venait de m’apporter. Je confesse que j’en eus la tentation ; mais je sus la réprimer.

— C’est le compte, c’est bien, lui dis-je le plus tranquillement que je pus.

Et sans la moindre pitié pour mes gants blancs, ramassant pièce à pièce cette exécrable monnaie, je l’encaissai stoïquement dans la poche de derrière de mon habit.

III.

Les propriétaires des stalles de la galerie avaient repris leurs places. La marchande de fleurs était partie. L’orchestre se préparait. Le cinquième acte de Robert allait commencer.

Madame de Nanteuil, qui n’avait vu dans la petite comédie dont je venais d’égayer l’entr’acte, que l’une de mes innombrables bizarreries, l’un de ces caprices extravagans que je lui fais si souvent subir ; — madame de Nanteuil avait déjà laissé ses traits réfléchir de nouveau l’inaltérable douceur et la pure sérénité de son âme. Mais ce précieux équilibre était bien loin d’être ainsi rétabli chez moi. Je ne sais quelle fièvre de mauvaise humeur m’avait au contraire saisi et me torturait. Tous mes nerfs s’étaient crispés, toutes mes fibres se tordaient. Tout m’irritait et me provoquait. Quelques figures du parterre qui certainement ne songeaient nullement à moi, s’étant tournées de mon côté, je m’imaginai que c’était moi que l’on regardait et que l’on montrait au doigt. — Ils se disent entre eux, me persuadais-je : — Voici le ladre le plus magnifique qui se soit vu jamais aux premières loges à l’Opéra. Et j’agitais en mes doigts