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Supposons maintenant une estancia renfermant douze mille têtes de bétail. La maison du maître est située, autant que possible, au milieu de la propriété, sur les bords d’un ruisseau, et sur une de ces légères ondulations de terrein où lomas qu’offrent les pampas de distance en distance. Elle se compose ordinairement d’un corps de logis en briques et de quelques ranchos, destinés aux peons attachés au service de la propriété. Prés de là est le corral, enceinte circulaire, plus ou moins vaste, formée de pieux enfoncés en terre, avec une seule ouverture fermée par une porte pour l’entrée et la sortie des animaux. Si l’estancia n’a rien à craindre de la part des Indiens, elle ne présente aucune espèce de défense ; dans le cas contraire, un mur ou un fossé garni d’une ou deux pièces d’artillerie de petit calibre, plus propres à effrayer l’ennemi qu’à lui faire un mal réel, protége l’espace habité, sans parler des fusils de munition, espingoles, sabres, dont la maison est presque toujours bien pourvue. L’estanciero ajoute ordinairement à sa demeure un jardin assez mal entretenu, et plante à l’entour quelques arbres, surtout l’ombù et le pêcher, qui, outre ses fruits, lui fournit le bois dont il a besoin pour sa consommation. Ainsi environnées de verdure, la plupart de ces habitations ressemblent à de véritables oasis sur la surface monotone et triste des pampas.

Un riche estanciero habite le plus souvent la ville, et ne vient que de loin en loin passer quelque temps sur sa propriété ; en son absence, elle est dirigée par un homme de confiance ou majordome que secondent un ou plusieurs capataz, chargés de faire exécuter ses ordres par les autres peons : ces derniers sont toujours en nombre proportionné à celui du bétail que renferme l’estancia ; on en met ordinairement un par mille animaux, et leur salaire est de six piastres par mois outre la nourriture. Les domadores, c’est-à-dire les gauchos qui sont exclusivement occupés à dompter les chevaux, reçoivent une paie un peu plus élevée, mais qui ne dépasse jamais 8 à 9 piastres.

La quantité de bétail que j’ai supposée plus haut ne pourrait rester sur le même point sans s’affamer et rendre la surveillance presque impossible. On la divise en conséquence en plusieurs troupeaux, qu’on répartit sur la surface de l’estancia. Chacun de ces troupeaux s’appelle un rodeo, et se compose habituellement de trois