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LÉLIA.

amour ! Qu’il y a de volupté dans ces tortures que tu mets dans mon sein ! qu’il y a de bonheur à être seulement ton jouet et ta victime ; à expier, jeune, pur et résigné, les vieilles iniquités, les murmures, les impiétés amassés sur ta tête ! Ah ! si l’on pouvait laver les taches d’une autre âme avec les douleurs de son âme et le sang de ses veines ; si l’on pouvait la racheter, comme un nouveau Christ, et renoncer à sa part d’éternité pour lui épargner le néant !

C’est ainsi que je vous aime, Lélia. Vous ne le savez pas, car vous n’avez pas envie de le savoir. Je ne vous demande pas de m’apprécier, encore moins de me plaindre : venez à moi seulement quand vous souffrirez, et faites-moi tout le mal que vous voudrez, afin de vous distraire de celui qui vous ronge…

— Eh bien ! dit Lélia, je souffre mortellement à l’heure qu’il est : la colère fermente dans mon sein. Voulez-vous blasphémer pour moi ? Cela me soulagera peut-être. Voulez-vous jeter des pierres vers le ciel, outrager Dieu, maudire l’éternité, invoquer le néant, adorer le mal, appeler la destruction sur les ouvrages de la providence et le mépris sur son culte ? Voyons, êtes-vous capable de tuer Abel pour me venger de Dieu mon tyran ? Voulez-vous crier comme un chien effaré qui voit la lune semer des fantômes sur les murs ? Voulez-vous mordre la terre et manger du sable comme Nabuchodonosor ? Voulez-vous, comme Job, cracher votre colère et la mienne dans de véhémentes imprécations ? Voulez-vous, jeune homme pur et pieux, vous plonger dans l’athéisme jusqu’au cou et ramper dans la fange où j’expire ? Je souffre, et je n’ai pas de force pour crier. Allons, rugissez pour moi ! Eh bien ! vous pleurez !… Vous pouvez pleurer, vous ? Heureux ceux qui pleurent ! Mes yeux sont plus secs que les déserts de sable où la rosée ne tombe jamais, et mon cœur est plus sec que mes yeux. Vous pleurez ? Eh bien ! écoutez pour vous distraire un chant que j’ai traduit d’un poète étranger.