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un droit qui leur appartenait incontestablement, celui d’entrer en partage des terres conquises par eux sur l’ennemi. Tiberius ne demandait pas une distribution gratuite du froment, mais seulement qu’on abaissât le prix du blé. Ceci n’avait rien d’irrégulier ni de nouveau. Ces deux nobles frères, dont tout le crime fut de valoir mieux que leur temps, succombèrent, parce que le vieil esprit romain, qui les inspirait, ne vivait plus que dans leur cœur. Une aristocratie corrompue les persécuta, des plébéiens corrompus les abandonnèrent, et leur généreuse mort prouva cette triste vérité, que, lorsque les mœurs sont mauvaises, les bonnes lois sont impossibles.

À cette époque, tout avait changé dans Rome, non-seulement les coutumes, les maximes, mais la population elle-même. La plupart des anciennes familles étaient éteintes ; les familles plébéiennes, élevées à la noblesse par leur richesse ou leur influence, remplaçaient le vieux patriciat. La population romaine tout entière était un ramas d’affranchis, d’Italiens, d’étrangers, sans unité, sans dignité, sans traditions communes. Ce peuple, qui s’appelait romain, n’avait rien de romain, ni les mœurs, ni les sentimens, ni même le sang. Dans cette extrémité, il est curieux de voir les lois tour à tour céder à l’invasion des mœurs étrangères ou s’armer contre elles ; tantôt la loi Junia et la loi Papia[1] bannissent de Rome les étrangers, tantôt la loi Junia[2] confère aux Latins et aux alliés le droit de cité conquis par la guerre sociale.

Le sénat de cette époque dégénérée ne conserve point le pouvoir judiciaire ; les chevaliers[3], c’est-à-dire alors les financiers, les publicains sont investis de ce pouvoir, et du droit de vendre légalement la justice. Ils prennent cette ferme comme une autre, et deviennent des traitans en matière d’équité. On fait encore des tentatives pour établir de nouvelles lois somptuaires[4], pour ressusciter les anciennes tombées en désuétude ; mais, comme dit Macrobe d’une de ces lois[5], le luxe et les vices se liguèrent contre elles, et elles furent inutiles.

Les discordes civiles firent aux Romains des mœurs atroces, qui enfantèrent des lois qui leur ressemblaient. Au temps de la lutte de Sylla et de Marius, de Pompée et de César, toujours la même sous d’autres noms,

  1. 628-689.
  2. 664.
  3. Loi Sempronia, 632. L. Servilia Glaulia, 954.
  4. L. OEmilia, 676. Cette loi voulait que celui qui possédait ou recherchait une magistrature ne pût pas aller dîner chez tout le monde.
  5. L. Antia, 676.