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léances de ses partisans, les menaces significatives de ses ennemis, l’expérience du passé le plus instructif, l’abandon, la tiédeur des uns, la joie, l’impatience des autres, tout ce qu’un gouvernement doit observer et recueillir, s’était présenté pour l’éclairer dans sa route et lui annoncer le prochain avenir qui vient de se réaliser sous ses yeux. Il a tout repoussé, il a fermé les yeux, il les ferme encore, et, livré à sa sourde opiniâtreté, il refuse de rien entendre. Il semble qu’il se soit donné la mission de rétablir l’empire unique de la force que ni la Convention, ni Napoléon, n’ont pu fonder en France d’une manière durable. Napoléon est le modèle qu’on veut suivre en toutes choses ; on n’excepte que les guerres qui l’ont renversé, et cependant on se plaît à jouer, comme lui, tout l’avenir sur une bataille.

C’est une habileté commune en fait de pouvoir, et bien cruellement déplorable, que celle qui se résout à coups de canon. La France est calme, avide de stabilité et de repos, lasse d’être ballottée d’une dynastie à l’autre, de s’user à soutenir de ses larges épaules les trônes fragiles qu’on lui donne à porter, comme les fardeaux qui se succèdent sur le dos d’une bête de somme. Elle veut vivre enfin, vivre pour elle, cultiver son champ, se livrer au travail qui lui donne l’aisance et la richesse, et pour arriver là, elle fait chaque jour mille sacrifices au pouvoir qui s’est engagé à lui procurer ces biens, sacrifices d’affection, d’ambition, de gloire. Elle tend ses mains vigoureuses à ce pouvoir débile, elle l’aide à marcher, elle le défend et le veille ; elle vient aux chambres lui voter complaisamment des subsides, elle quitte sa demeure et passe les nuits, à sa porte, le fusil sur l’épaule, pour qu’il dorme en paix ; elle accourt en masse dès qu’il se dit en péril, elle se fait même violence et se montre impitoyable quand il s’agit de réduire ses ennemis ; elle lui donne tout enfin, son argent et son sang ; elle lui cède même une partie de ses libertés pour qu’il assure au pays le repos et la paix, et cependant le pays ne peut les obtenir de lui.

Tandis que la France, représentée par toutes ses majorités, renonce à ses passions et à ses ambitions en faveur de la paix, le pouvoir ne songe qu’à satisfaire les siennes. Au lieu de calmer, il excite ; les forces que le pays met à sa disposition pour contenir, il s’en sert pour provoquer, et la guerre qu’il évite au dehors avec tant de souplesse, au dedans il la demande avec ardeur. Ce serait un gouvernement glorieux et accompli s’il traitait avec l’étranger comme il traite avec la France, et s’il gardait pour son peuple une partie de la mansuétude qu’il prodigue à ses ennemis.

Lorsque les événemens de Lyon éclatèrent, l’année passée, il était évident que les ouvriers de Lyon se révoltaient pour une question industrielle ; une fois maître, vainqueur, fort, puissant, le pouvoir ne devait-il