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fortes études philosophiques et historiques qu’il a appliquées plus tard avec tant de succès à ses travaux. Il y apprit cette rigoureuse manière d’apprécier et d’enchaîner les faits, particulière à l’école de Genève. Il y puisa ce goût pour l’aristocratie bourgeoise, cette fierté et cet orgueil plébéiens qui éclatent dans tous ses écrits et dans tous ses discours. Dans ce coin du monde où se sont réfugiés les débris du patriciat roturier et de la tyrannie des communes, qui tinrent si long-temps tête à la noblesse et opprimèrent pendant tant d’années les classes inférieures en France, en Allemagne, M. Guizot étudia, peut-être involontairement, l’art de gouverner despotiquement le peuple en déclamant contre le despotisme des classes élevées, de marcher pas à pas et d’un grand air de franchise à un but secret, de reculer à propos devant la force, de revenir à propos encore, d’avancer toujours et de ne lutter ouvertement qu’à la dernière extrémité ; petites choses et petits moyens qu’on sait à merveille dans ce petit gouvernement, si faible que le moindre brin d’herbe y est un obstacle qu’on ne peut surmonter qu’à force d’habileté. M. Guizot, esprit méditatif et sérieux, dut certainement recevoir du tableau que lui offrait l’ancien état politique de Genève, une impression bien forte, et c’est à elle qu’il doit sans doute certaines nuances d’habileté et de finesse qui semblent quelquefois incompatibles avec un génie aussi absolu que l’est le sien, et avec l’aspérité dogmatique de son esprit.

La jeunesse de M. Guizot fut celle de beaucoup d’entre nous. Il était pauvre, actif et laborieux. On lui avait dit, en sortant de son collége, que le monde entier était ouvert devant lui, que la révolution française avait déblayé tous les chemins sous les pas des hommes intelligens, que l’empire, dont l’aurore se levait, avait besoin de toutes les âmes fortes, de toutes les têtes éclairées qui consentiraient à se laisser conduire. Il savait qu’il était docte et intelligent, qu’il avait une ame énergique ; les idées de liberté qu’il avait conçues dans la république de Genève, ne le rendaient pas sauvage et indomptable, il le savait aussi. Il vint donc, plein d’espoir, d’entrain, de bonne volonté, et de confiance dans l’avenir qui ne lui a pas fait défaut, comme on sait. Il n’en fut pas ainsi du présent. Les connaissances philosophiques et le savoir du jeune étudiant genevois ne le menèrent à rien. Ces routes vers la fortune,