Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/431

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
425
HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

ouvertes par la révolution et par l’empire, toutes larges qu’elles étaient, se trouvaient encombrées par la foule, et ses rêves d’avenir se terminèrent par un pénible réveil. Il lui fallut, non pas même accepter, mais solliciter une humble place de précepteur dans une famille suisse qui habitait Paris, et pour laquelle, je dois le dire, il a toujours professé le dévoûment et la haute estime que méritent ses vertus vraiment patriarcales.

Rien ne se perd en ce monde pour les esprits tels que celui de M. Guizot. Tout leur profite, tout les retrempe. Il dut faire là comme un second apprentissage politique. Soumis à une condition qui eût été un peu humiliante ailleurs, courbé sous des distinctions hiérarchiques qui pesaient, il est vrai, bien légèrement sur lui, il se peut qu’il se soit fortifié, à cette époque, dans ses idées d’organisation de la société qu’il a plutôt laissé entrevoir que développées depuis, et d’après lesquelles le premier soin d’un gouvernement bien constitué serait de retenir avec sévérité chaque individu à la place où le sort l’a jeté. M. Guizot ne peut avoir conçu de telles idées qu’après avoir reconnu, par lui-même, qu’on peut vivre très heureux dans une situation tout-à-fait subalterne. La portée philosophique que je lui attribue ne me permet pas d’assigner une autre cause à sa pensée. La société qu’il médite de régénérer, il l’a sans doute vue de son propre point de départ, auquel se rattachent peut-être des souvenirs heureux. Il ne peut en être autrement, car il faudrait désespérer de l’esprit humain, si ses progrès et son perfectionnement ne menaient qu’à l’égoïsme, si les hommes supérieurs, glorieusement parvenus au faîte de l’échelle sociale, n’apercevaient autre chose, à cette élévation, que la nécessité de repousser du pied tous ceux qui tendraient à s’élever en suivant leurs traces.

Les goûts littéraires de M. Guizot le firent bientôt introduire dans le salon de M. Suart. Là se réunissaient tous les hommes qui brûlaient de se rattacher au mouvement des idées ou qui essayaient en secret de leur imprimer une direction contraire. On y voyait à la fois les cyniques du directoire, les représentans de la république, les dernières ruines de l’Encyclopédie et quelques débris du naufrage de l’émigration, qui avaient abordé le rivage de la France à la faveur d’un moment de calme et d’oubli. C’est déjà de cette