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maudit qui avait tué le père par la main du fils, et la sœur par la main du frère. Il était tombé près de la porte de la chambre qu’occupait l’étranger.

Kuntz se leva pour l’aller ramasser. En se baissant, son regard plongea par le trou de la serrure dans la chambre de son hôte. Celui-ci dormait, la tête appuyée sur sa ceinture. Kuntz resta l’œil sur la serrure, la main sur le couteau. La lampe s’éteignit dans la chambre de l’étranger.

Kuntz se retourna vers Trude, pour voir si elle dormait.

Trude était appuyée sur son coude, les yeux fixes ; elle regardait Kuntz. — Lève-toi et éclaire-moi, puisque tu ne dors pas, dit Kuntz.

Trude prit la lampe ; Kuntz ouvrit la porte ; les deux époux entrèrent.

Kuntz mit la main gauche sur la ceinture. Il tenait le couteau de la main droite.

L’étranger fit un mouvement. Kuntz frappa. Le coup était si sûrement donné, que la victime n’eut la force que de dire ces deux mots : Mon père !

Kuntz venait de tuer son fils.

Le jeune homme s’était enrichi à l’étranger et revenait partager sa fortune avec ses parens.

Voilà le drame de Werner, et la légende du Schwarrbach.

On peut juger jusqu’à quel point un pareil souvenir me préoccupait. Le désir de voir l’auberge qui avait été le théâtre de ces terribles événemens m’avait surtout déterminé à prendre le chemin du mont Gemmi. Il y avait bien, une lieue au-delà de l’auberge, certaine descente que les gens du pays eux-mêmes regardent comme un des plus effrayans cols des Alpes ; ce qui ne promettait pas à ma tête, si disposée aux vertiges, une grande liberté d’esprit pour admirer le travail des hommes qui ont pratiqué cette descente, et le caprice de Dieu qui a dressé là les rochers contre lesquels elle rampe. Mais à force de penser à l’auberge et au chemin facile qui y conduit, j’avais fini par m’étourdir sur le chemin infernal par lequel on en sort.

Pendant que je repassais dans mon esprit tout ce drame, nous avions gravi la montagne. En arrivant sur son plateau, un