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tué de sa propre main le jeune Theodebert, ou tout au moins de l’avoir laissé massacrer par ses soldats, lorsqu’en ennemi généreux il pouvait lui accorder la vie[1]. Surpris au centre de l’Aquitaine par la terrible nouvelle du meurtre de Sighebert, et craignant, non sans motif, de tomber entre les mains du roi de Neustrie, il était venu se mettre en sûreté sous la protection de saint Martin. À cette sauvegarde mystérieuse se joignait, pour assurer au duc Gonthramn une complète sécurité, l’intervention plus visible, mais non moins efficace, de l’évêque de Tours, Georgius Florentius Gregorius, qui veillait avec fermeté au maintien des droits de son église et surtout du droit d’asile. Quelque péril qu’il y eût alors, au milieu de la société bouleversée, à défendre la cause des faibles et des proscrits contre la force brutale et la mauvaise foi des hommes puissans, Grégoire montrait, dans cette lutte sans cesse renouvelée, une constance que rien ne pouvait lasser et une dignité prudente mais intrépide.

Depuis le jour où Gonthramn-Bose s’était installé avec ses deux filles dans l’une des maisons qui formaient le parvis de la basilique de Saint-Martin, l’évêque de Tours et son clergé n’avaient plus un seul moment de repos. Il leur fallait tenir tête au roi Hilperik, qui, altéré de vengeance contre le réfugié et n’osant le tirer par violence hors de son asile, voulait, pour s’épargner le crime et les dangers d’un sacrilège, contraindre les clercs eux-mêmes à le faire sortir de l’enceinte privilégiée. D’abord ce fut de la part du roi une invitation amicale, puis des insinuations menaçantes, puis enfin, comme les messages et les paroles demeuraient sans effet, des mesures comminatoires, capables d’agir par la terreur non-seulement sur le clergé de Tours, mais sur la population entière. Un duc neustrien appelé Rokkolen vint camper aux portes de la ville, avec une troupe d’hommes levés sur le territoire du Mans. Il établit ses quartiers dans une maison qui appartenait à l’église métropolitaine de Tours, et de là fit partir ce message adressé à l’évêque : « Si vous ne faites sortir le duc Gonthramn de la basilique, je brûlerai la ville et ses faubourgs. » L’évêque répondit avec calme que

  1. Ut scilicet Guntchramnum, qui tunc de morte Theodeberti impetebatur, à basilicâ sanctâ deberemus extrahere. Greg. Turon. Hist., lib. v, pag. 235.