Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/238

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
234
REVUE DES DEUX MONDES.

toutefois que lord Grey se retire du ministère au moment où la conclusion de la quadruple alliance semble préparer pour l’Angleterre une position plus influente à l’extérieur que celle qu’elle a occupée dans ces dernières années. On a fait beaucoup d’honneur en France à lord Grey de l’empressement qu’il a mis à se démettre de ses fonctions, dès qu’il a entrevu la possibilité d’être contredit par la chambre des communes au sujet du bill de coercition de l’Irlande ; mais, comme l’a dit lui-même lord Grey, sa détermination part d’un motif plus grave encore. Il est vieux et épuisé, accablé des dégoûts qu’on lui suscite, las de lutter chaque jour avec les affections personnelles et les habitudes politiques du roi ; il sent d’ailleurs que le moment inévitable de traiter les grandes questions populaires approche avec une rapidité effrayante, et peut-être la main lui tremble-t-elle en voyant quels sacrifices il lui faudrait faire ; car il faut bien se rappeler que parmi les whigs, lord Grey n’est pas un homme avancé, qu’il est dépassé dans son propre ministère, et que ses opinions politiques n’ont pas changé depuis le jour où, répondant en plein parlement au roturier Canning, il s’écriait : « Je n’oublierai jamais que je suis un noble d’Angleterre, je ne cesserai jamais de me glorifier de l’ordre auquel j’appartiens, et de défendre ses intérêts contre tous les autres. » L’esprit de justice qui anime lord Grey, son noble caractère, l’ont fait sortir avec honneur d’une position vraiment inouie ; si l’aristocratie d’Angleterre, si le parti tory pouvaient être sauvés, ils l’eussent été par lord Grey, qui s’est interposé avec tant de sincérité et de loyauté entre ce parti et le peuple ; mais en face de ce parti tory si violent, si hautain, si aveugle, il fallait échouer ou s’armer à son tour d’une violence et d’une brutalité dont lord Grey est incapable. Il a préféré abandonner la place, avec douleur sans doute, avec une douleur profonde, qui s’est manifestée par des signes non équivoques dans la chambre des lords, douleur noble et élevée qui s’appliquait non à lui-même, mais au pays dont l’avenir lui paraît si menaçant. La séance de la chambre des lords où le premier ministre n’eut pas la force d’annoncer sa détermination, et laissa retomber sa tête dans ses mains, fournira un jour une des pages les plus mémorables de l’histoire d’Angleterre, et le parti tory ne saura peut-être que trop tôt sur qui tombaient les larmes qui s’échappaient involontairement des yeux de lord Grey.

Il paraît certain maintenant que le cabinet anglais ne se disloquera pas entièrement après la retraite de lord Grey, et que le chancelier de l’échiquier lui-même consentira à demeurer. On avait pensé d’abord que lord Melbourne avait été appelé près du roi pour former un cabinet nouveau, et M. de Talleyrand avait même annoncé cette nouvelle par voie télégra-