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ronnes ; on lui donne une place, la première ; on le rassasie d’acclamations et de bruit. Tout cela est mérité, et il ne faut jamais mesurer parcimonieusement la gloire aux serviteurs dévoués de l’émancipation du monde.

Mais quelque chose de plus saillant encore s’est passé : un prêtre vient d’émouvoir l’Europe. Qu’a-t-il donc fait ? Il a changé ; il a changé, non pas de Dieu, mais de manière de le servir, et il a fait de la croix de Jésus-Christ un étendard de liberté. Au milieu des faiblesses et des indécisions de son siècle, de ses hypocrisies pusillanimes et de ses demi-mesures impuissantes, M. de La Mennais s’est comporté avec audace ; on le croyait abattu, il s’est levé ; soumis, il s’est révolté. Il s’est préservé de l’imitation de Fénélon, il a été lui-même. Nous l’avions appelé révolutionnaire au service d’une vieille cause, il a embrassé la nouvelle. Il a jeté à la face de Rome un poème, un pamphlet, un tonnerre ; il a éclaté à l’improviste, et avec un irrésistible fracas ; il a rempli les peuples d’espoir et les rois de stupeur ; il a consterné l’église en la désertant ; il s’est cru lui-même pour mieux croire à Dieu, il a été courageux, nouveau, grand, sublime, le seul prêtre de l’Europe.

C’est que cet homme a suivi sa nature ; il a été docile à sa destinée et aux desseins que Dieu avait mis sur sa tête. Après s’être trouvé, il ne s’est pas refusé à sa grandeur, il s’est livré à l’impulsion du souffle divin, et par un hardi changement de lui-même, il a grandi au-dessus de tous.

Il a changé ; voilà sa gloire et sa force. Il avait maudit la révolution française, il la sert aujourd’hui ; il avait déclamé contre la liberté, il parle pour elle. Depuis 1830, il est sensible que M. de La Mennais est mené par un esprit inspirateur qui a doublé ses forces ; le cri du peuple a été pour lui la voix de Dieu. C’est une allure qui n’est pas rare chez les grands hommes de contredire une partie d’eux-mêmes pour se développer davantage : ils ont débuté par le contraire de leur mission, et c’est en la niant avec éclat qu’ils commençaient à la trouver. Les grandes natures sont longues à se dérouler ; on ne les perce pas d’un seul coup d’œil ; elles ne s’épuisent pas vite ; sachez les attendre à l’occasion et à l’œuvre, à leur convenance et à leur opportunité ; elles vous étonneront par des manifestations imprévues, et par des forces accablantes.