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ANGELO MALIPIERI.

dessein déplorable ; si M. Hugo évite l’histoire, ce n’est pas pour la dominer, c’est pour éviter, du même coup, l’humanité qui, à toutes les époques de sa biographie, a ses lois irrésistibles et constantes. En imposant à l’Italie du xvie siècle des mœurs qui ne sont d’aucune date, il se donne de son plein gré le droit de créer des personnages qui n’ont jamais pu vivre nulle part. La décoration et le costume sont le seul code qu’il respecte. Pourvu qu’il ait à sa disposition une salle gothique et une demi-douzaine de pourpoints brodés, il ramène à tout propos son éternelle antithèse de la passion dans le vice, de la magnanimité dans l’humiliation. Lucrèce Borgia, Marie Tudor et Angelo sont de la même famille, mais à coup sûr ne sont pas de la famille humaine. C’est une génération de monstres bavards. La fille d’Alexandre vi a changé de robe et s’appelle Tisbe. Marie Tudor a changé de sexe et s’appelle Angelo. Les types de ces impossibles tragédies sont rangés dans la pensée de M. Hugo comme les coins d’une collection monétaire. Quand il veut frapper l’effigie d’un roi ou d’une courtisane, il n’a qu’à changer le nom ; le ciseau demeure oisif et ne fouille pas l’acier. Le profil inflexible sert à toutes les dynasties, à toutes les prostitutions renommées.

Il ne reste plus maintenant à la critique sérieuse qu’une seule arme contre les œuvres dramatiques de M. Hugo, c’est le silence. Quand la discussion ne soulèvera plus de bruit autour des mélodrames qu’il jette sur la scène, l’indifférence et l’ennui feront bonne et sévère justice. Le jour où il perdra ses adversaires, il sera forcé de battre en retraite.


Gustave Planche.