Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 2.djvu/442

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
436
REVUE DES DEUX MONDES.

ame ardente et mobile y ajoute par sa sévérité. Ces noms d’amans, non pas gravés, cette fois, sur les écorces de quelque hêtre, mais inscrits aux parois des ruines éternelles, s’associent à la grave histoire, et deviennent une partie vivante de son immortalité. La passion divine d’un être, qu’on ne peut croire imaginaire, introduit, le long des cirques antiques, une victime de plus, qu’on n’oubliera jamais ; le génie, qui l’a tirée de son sein, est un vainqueur de plus, et non pas le moindre, dans cette cité de tous les vainqueurs.

Ce n’est point à propos de Corinne qu’il y a lieu de reprocher à Mme de Staël un manque de consistance et de fermeté dans le style, et quelque chose de trop couru dans la distribution des pensées. Elle est tout-à-fait sortie, pour l’exécution de cette œuvre, de la conversation spirituelle, de l’improvisation écrite, comme elle faisait quelquefois (stans pede in uno) debout, et appuyée à l’angle d’une cheminée. S’il y a encore des imperfections de style, ce n’est que par rares accidens ; j’ai vu notés au crayon, dans un exemplaire de Corinne, une quantité prodigieuse de mais, qui donnent en effet de la monotonie aux premières pages. Toutefois, un soin attentif préside au détail de ce monument ; l’écrivain est arrivé à l’art, à la majesté soutenue, au nombre.

Le livre de l’Allemagne, qui n’a paru qu’en 1815 à Londres, était à la veille d’être publié en 1810. L’impression, soumise aux censeurs impériaux, Esménard et autres, s’achevait, lorsqu’un brusque revirement de police mit les feuilles au pilon et anéantit le tout. On sait la lettre du duc de Rovigo et cette honteuse histoire. L’Allemagne ayant été de plus en plus connue, et ayant, d’ailleurs, marché depuis cette époque, le livre de Mme de Staël peut sembler aujourd’hui moins complet dans sa partie historique ; l’opinion s’est montrée dans ces derniers temps plus sensible à ces défectuosités. Mais à part même l’honneur d’une initiative, dont personne autre n’était capable alors, et que Villers seul, s’il avait eu autant d’esprit en écrivant qu’en conversant, aurait pu partager avec elle, je ne crois pas qu’il y ait encore à chercher ailleurs la vive image de cette éclosion soudaine du génie allemand, le tableau de cet âge brillant et poétique, qu’on peut appeler le siècle de Goëthe ; car la belle poésie allemande semble, à peu de chose près, être née et morte avec ce grand homme et n’avoir vécu qu’une vie de patriarche ;