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PORTRAITS DE ROME.

moquera des pélerins romipètes, comme les appellent les canons, et des saintissimes décrétales. C’est lui qui parle, cette fois, comme souvent, par la bouche de Panurge, quand il dit : « Oui dea messieurs, j’en ai vu trois (papes) à la vue desquels je n’ai guères profité. »

Quand on a entendu les mille cloches de Rome, dont le retentissement ne cesse pour ainsi dire jamais, et accompagne si bien la rêverie que cette ville inspire, on comprend pourquoi Rabelais, qui ne prenait pas les choses par le côté de la rêverie, frappé à sa manière de ce bruit perpétuel de cloches, a appelé Rome l’île sonnante, pourquoi il dit : « Nous entendions un bruit de loin, venant fréquent et tumultueux, et nous semblait, à l’ouïr, que ce fussent cloches, grosses, petites et médiocres ensemble, sonnantes comme l’on fait à Tours, à Paris, à Nantes et ailleurs ès jours de grandes fêtes ; plus nous approchions, plus nous entendions cette sonnerie merveilleuse. »

« Cette isle où ce sont les cloches suspendues au-dessus de leur cage qui font chanter les monagaux ; cette isle des prestergaux, des capucingaux, des evesgaux, des cardingaux… cette isle enfin où l’on montre, avec grande difficulté, l’oiseau merveilleux, unique, comme le phénix d’Arabie, le papegau… » c’est la Rome de Rabelais.

Montaigne alla aussi à Rome, Montaigne, qui avançait à sa manière l’œuvre de démolition à laquelle concoururent Luther et Rabelais, plus réservé, moins licencieux que le dernier dans la forme, mais au fond aussi épicurien, aussi sceptique, et païen, comme Pascal le lui a reproché ; Montaigne, moins érudit que Rabelais, était aussi un homme nourri des lettres antiques, et surtout des lettres romaines ; enfant, il avait parlé latin, et malgré l’originalité prodigieuse de son esprit, ses saillies ne se produisent qu’à travers une masse de citations. Dans ses capricieux Essais, il ne marche qu’accompagné de Cicéron, d’Horace, de Juvénal, car Montaigne est homme du xvie siècle, homme des nouveautés et de l’antiquité, chez qui il y a de l’esprit fort et de l’érudit, déjà du révolutionnaire, et encore du compilateur. Lui aussi était donc à Rome comme dans sa patrie ; il le sentit si bien, qu’il voulut en emporter le titre de citoyen romain ; il employa, dit-il, ses cinq sens de nature