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pour obtenir ce titre, « ne fût-ce que pour l’ancien honneur et religieuse mémoire de son autorité. » Il fut jugé très digne d’être admis au droit de cité romaine, par les suffrages et le jugement souverain du peuple et du sénat, l’an de la fondation de Rome 2331. L’emploi dérisoire de ce formulaire antique par les représentans modernes du sénat et du peuple romain, fait naître dans l’ame un sentiment qui tient de l’ironie et de la pitié. « C’est ce que j’éprouvais en voyant le sénateur de Rome venir du Capitole, en perruque et en lunettes, avertir le peuple romain que le carnaval pouvait commencer… » Montaigne ne se faisait pas illusion sur cette dignité tant désirée : « c’est un titre vain, » disait-il ; puis il ajoutait avec sa naïve franchise : « Tant y a que j’ai reçu beaucoup de plaisir de l’avoir obtenu. »

Montaigne est le premier voyageur, proprement dit, qui ait écrit sur Rome ; son voyage en Italie est, comme ses Essais, un livre de bonne foi ; il n’y embouche point sans cesse la trompette de l’admiration, comme se sont crus obligés de le faire tant d’autres voyageurs ; il parle froidement des choses qui ne l’émeuvent point. Ainsi il ne dit pas un mot de Raphaël, ni de Michel-Ange ; il ne sent point la campagne de Rome avec son grand caractère de sublime solitude, avec la splendeur de ses teintes, la tristesse de ses ruines, la beauté de ses horizons, telle qu’elle s’est révélée au pinceau du Poussin, et mieux encore au pinceau de Chateaubriand. La campagne romaine n’a inspiré à Montaigne que cette description plus exacte que poétique : « Nous avions, loin sur notre main gauche, l’Apennin, le prospect du pays, mal plaisant, bossé, plein de profondes fandasses, incapable d’y recevoir nuls gens de guerre en ordonnance ; le terroir nud, sans arbre, une bonne partie stérile ; le pays fort ouvert tout autour, plus de dix milles à la ronde, et quasi tout de cette sorte, fort peu peuplé de maisons. »

Dans tout ce qu’il dit de Rome, il conserve en général ce ton tranquille ; il paraît plus curieux que transporté ; mais ses impressions sont justes, et l’expression, pour être simple, ne manque pas d’énergie, quand il dit, par exemple, du quartier montueux qui était le siége de la vieille ville, et où il faisait tous les jours mille promenades et visites, qu’il est « scisi (coupé) de quelques églises et anciennes maisons rares, et jardins des cardinaux ; » quand il dit