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AU-DELÀ DU RHIN.

de ces choses agréables, l’ame, ne saurait être contente à moins de se laisser tout-à-fait engourdir.

Que manque-t-il donc à Vienne ? Il lui manque la liberté de la pensée ; ou plutôt l’absence de la pensée s’y fait voir. Tout y est permis, tout y est possible, sauf de diriger son esprit sur les graves et mâles objets d’où dépendent les destinées de l’homme et du genre humain. Des spéculations profondes à Vienne ? Erreur ! De l’enthousiasme ? Folie ! Il faudrait écrire sur les poteaux de la route de Vienne : On ne pense point ici.

La monarchie autrichienne exerce une vaste et sourde proscription contre le génie : elle ne le tue pas, elle le déprime. Un poète avait commencé de s’élancer dans les divins pays de l’imagination et de l’idéal : un instant, on le laissa faire, puis on l’avertit, on l’inquiéta, on l’invita amicalement de ne pas se rendre suspect par trop de verve et d’impétuosité ; quand le poète voulait lever les yeux au ciel, il rencontrait autour de lui les regards immobiles d’une inquisition secrète ; il a fini par comprendre que la monarchie lui dictait le silence : il se tait, il vit ainsi ou plutôt il meurt tous les jours, sans se plaindre et sans chanter.

Comme au temps de Wan-Swieten et de Métastase, la médecine et l’opéra sont l’objet des soins et des faveurs de la cour et du pouvoir. La musique, la danse et les sciences naturelles ont seules conservé le privilége de l’innocence.

La politique du cabinet de Vienne est habile et laborieuse ; M. le prince de Metternich montre, dans la gestion de la monarchie, un talent peu commun. Il a pour but l’immobilité de l’empire et de l’Europe ; il s’attache à ce que rien ne remue, et quand il ne peut prévenir un changement, il travaille à ce que du moins ce soit le dernier. « Le maintien de ce qui subsiste doit être le premier comme le plus important de nos soins, écrivait M. de Metternich à un ministre d’une des cours de l’Europe ; par là nous entendons non-seulement l’ancien ordre de choses qui a été respecté dans quelques pays, mais encore toutes les institutions nouvellement créées. Dans les temps actuels, le passage de l’ancien ordre au nouveau est accompagné d’autant de dangers que le retour du nouveau à ce qui n’existe plus. » M. de Metternich n’a pas le thème politique d’un Alberoni ou d’un Richelieu ; il ne veut rien