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envahir, mais tout conserver, et dans cette immobilité, si artificiellement entretenue, il dépense beaucoup de génie. Il a pour les faits un respect idolâtre ; il déteste les mouvemens des peuples ; mais si une révolution est triomphante, il aimera mieux la reconnaître que de la corriger par une autre révolution. Il n’adore en politique que le repos, il n’a pas de Dieu ; il rit intérieurement des sollicitations et des espérances fanatiques des serviteurs des royautés proscrites ; sans les décourager, il les ajourne toujours ; l’usurpation qui dure est à ses yeux une légitimité qui commence. Au milieu de l’Europe, il demeure impassible, froid, poli, ironique, incrédule ; il n’a pas la grandeur que donne la foi mais il a toutes les habiletés et les ressources d’un inaltérable athéisme.

Cette politique n’est pas arbitraire, elle est prescrite par l’état de la monarchie. Jamais empire n’a été composé de parties plus dissemblables ; il réunit la Lombardie et la Hongrie, Venise et Prague ; autour des états héréditaires de l’archiduché d’Autriche, se groupent forcément la Styrie haute et basse, le Tyrol, la Bohême, la Moravie, une partie de la Silésie, la Hongrie, la Transylvanie, l’Esclavonie, la Croatie septentrionale, la Gallicie orientale, le royaume d’Illyrie, la Dalmatie, et des îles de la mer Adriatique. Quel est le ciment qui pourrait toujours tenir ensemble ces pièces de rapport ? À peine si la pensée la plus vaste et la plus ardente en aurait la puissance.

Elle appartient à l’Autriche cette Milan fondée par nos pères, par les Gaulois d’Autun, qui passa de la domination romaine à celle des Ostrogoths ; reine, au xe siècle, des républiques lombardes, arrachée par Charles-Quint à la France, et dont Napoléon termina, en 1810, la blanche cathédrale, commencée par Galéasse dans la première année du xive siècle. L’empereur, non plus d’Allemagne, mais d’Autriche, gouverne aussi Venise et venge Maximilien. Cependant Rome contemple ce spectacle dans une obéissance imbécille, tant elle a dans la mémoire et dans le cœur qu’elle fut la ville de Marius et d’Hildebrand !

La patrie de Jean Hus et de Jérôme appartient aussi à l’Autriche. La Bohême, que l’acte fédératif de 1815 a incorporé dans la confédération germanique, se repose de ses antiques agitations, de ses révoltes de Ziska, de sa guerre de trente ans, des batailles