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AU-DELÀ DU RHIN.

En entrant de la Bohême dans la Saxe, je méditais comment cette Saxe, toujours illustre par l’effort du courage, de la nature, de la religion et de la science, n’avait jamais pu saisir une domination durable dans les affaires européennes. Elle a donné Luther au monde ; c’est beaucoup : elle a, par Witikind, opposé le génie d’une résistance héroïque aux cruautés triomphantes du grand Karl ; mais elle n’a jamais pu rencontrer la grandeur politique. C’est qu’elle perdit l’unité, dès le XVe siècle, par le partage de l’électorat dans les deux branches Ernestine et Albertine, et cependant jamais pays ne dut davantage concentrer ses forces ; enclavé entre le Brandebourg, la Bavière et la Bohême, il ne pouvait sauver son intégrité que par une cohésion énergique. Si Maurice eût vécu, la Saxe eût étonné l’Allemagne. Il est surprenant qu’au-delà du Rhin un poète de génie n’ait pas encore composé un drame avec la vie de cet homme.

Un jeune prince se laisse aller aux séductions de la gloire et du génie ; il sert Charles-Quint, il foule aux pieds pour lui la liberté de l’Allemagne et la foi nouvelle pourtant chère à son cœur ; il se fait l’instrument le plus actif de la défaite des princes réformés et de la ligue de Smalkade ; il est récompensé par l’électorat de Saxe mais une fois couronné, il se sent un autre devoir que la reconnaissance ; il songe à l’Allemagne, à la liberté, à la religion ; il conçoit la pensée de s’en faire le représentant et le vengeur ; il prépare en silence un éclat terrible ; il trompe Charles-Quint, le grand trompeur de l’Europe ; il trompe Granvelle, un des plus raffinés politiques du siècle ; enfin il se décide, il court surprendre l’empereur dans Inspruck ; il le manque de quelques heures, mais toujours il le contraint de fuir la nuit, à travers les ténèbres et des torrens de pluie, de traverser les Alpes à la lueur des flambeaux par des sentiers détournés, et d’aller cacher dans la Carinthie ses angoisses, sa goutte et son désespoir. L’Allemagne a tressailli. La réforme a trouvé son Achille ; elle arrache à Charles-Quint la convention de Passau, et les yeux fixés sur Maurice, elle attend de nouveaux triomphes. Un an après, Maurice recevait la mort en achevant sa victoire contre Albert de Brandebourg, prince furieux, toujours funeste à l’Allemagne ; Maurice mourait à trente-deux ans, à cet âge de maturité pour les grandes choses. Durant sa