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courte vie, il avait mêlé dans son caractère l’héroïsme germanique et la ruse italienne ; il s’élevait sur le déclin de Charles-Quint ; il lui eût succédé dans la gloire, peut-être sur le trône impérial, et la Saxe eût ainsi donné à la réforme chrétienne, non-seulement un Moïse, mais un César. Voilà pour le drame un autre Wallenstein : pourquoi n’y aurait-il pas un autre Schiller ?

Le nerf de l’unité a toujours manqué à la Saxe autant dans sa politique que dans son territoire. À la fin du xviie siècle, ses princes abjurent le protestantisme pour l’appât du trône de Pologne : princes impolitiques qui s’affublaient du catholicisme dans la patrie de Luther ! Elle eut tour à tour pour ennemis et pour vainqueurs Charles xii et le grand Frédéric ; elle eut pour ami Napoléon, qui l’entraîna dans sa chûte.

Au congrès de Vienne, il se donna un curieux spectacle de convoitises et d’avidités politiques. Le roi de Saxe n’avait abandonné Napoléon que le dernier ; il avait été contraint, après la bataille de Leipsig, de quitter ses états, et il attendait au château de Frederichfeld, à quelques lieues de Berlin, ce que les souverains rassemblés décideraient de sa couronne. Le prince de Hardenberg demandait l’incorporation de la Saxe à la Prusse, en s’appuyant sur les principes du droit des gens, sur l’intérêt politique de l’Allemagne, sur l’intérêt de la Saxe elle-même. Le principe du droit des gens invoqué par la Prusse était le droit de conquête ; elle citait Grotius et Wattel, afin de prouver que la conquête est un titre légal pour acquérir la souveraineté d’un pays. On frémissait à Berlin à l’idée de rendre le prix de la victoire dont on s’était nanti rapidement. La Saxe a été conquise, écrivait en 1826 M. de Stein[1], par six mois de combats et de luttes sanglantes. Le roi a été fait prisonnier le 18 octobre dans Leipsig emporté d’assaut ; il avait perdu la couronne, il avait cessé de régner ; son consentement n’était pas nécessaire pour ratifier la perte de ses états. L’Angleterre favorisait les prétentions de la Prusse, la Russie ne les contrariait pas ; mais l’Autriche ne pouvait consentir à laisser la monarchie prussienne étendre ses limites jusqu’aux frontières de la Bohême ;

  1. Die Briefe des Freiherrn, von Stein an den Freiherrn von Gagern, von 1813-1831, Stuttgardt, 1835.