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En disant que l’inventaire de 1835, dressé par ce savant bibliographe, atteint le numéro 6,700, on ne donnerait pas une idée exacte de la production, puisqu’il note jusqu’aux prospectus, et qu’un livre est annoncé autant de fois qu’il contient de livraisons. Le nombre réel des ouvrages, réduit à 4,656, ne serait pas beaucoup plus significatif. À côté d’un recueil en vingt volumes, figure quelquefois un cahier de dix pages. Nous avons cru devoir appuyer nos calculs sur une base plus certaine : le nombre des feuilles typographiques. (La feuille typographique fait 16 pages in-8o.) Le total obtenu par des myriades d’additions est de 82,298. Ce nombre s’est doublé depuis 1817, c’est-à-dire en dix-huit ans. La multiplication de ces feuilles-modèles par l’impression, divulguée autrefois, reste aujourd’hui le secret de l’éditeur. M. Daru, qui, pour éclairer les discussions législatives, a entrepris des recherches sur le mouvement des presses françaises de 1811 à 1825, a pris pour moyenne du tirage un chiffre qui approche de 1800. Nous ne savons si une variation s’est fait sentir depuis cette époque ; mais après avoir interrogé, autant que possible, l’expérience des libraires, nous nous sommes crus autorisés à réduire ce nombre à 1500. On notera que les publications dites à bon marché, les livres de piété, d’éducation, d’utilité générale, les ouvrages anciens et éprouvés sont reproduits à des nombres souvent plus élevés, et que le contraire arrive pour les grandes collections, les traités de haute science, et surtout pour la masse des ouvrages d’imagination. Ainsi, cent vingt-cinq millions de feuilles imprimées, voilà l’œuvre de la librairie française en 1835. Reste à évaluer ce que les presses quotidiennes et périodiques lancent par année dans l’océan de la circulation.

Après le classement du catalogue, qui est lui-même un énorme volume, on s’étonne du peu de place qu’occupent, relativement à l’ensemble, les ouvrages dont la naissance est signalée par des affiches gigantesques et bigarrées, par des annonces en lettres barbares, par les réclames qui promettent le feuilleton, par le feuilleton qui promet le succès. L’art d’amorcer le public, que l’industrie anglaise a créé, et dont la recette a été importée chez nous entre un roman de Walter Scott et un poème de Byron, est encore lettre close pour la plupart des éditeurs. Les livres spéciaux, c’est-à-dire les deux tiers de ceux qui paraissent, sont composés et débités sans fanfares. C’est qu’ils s’adressent à une clientelle connue, dont ils savent les besoins, dont ils professent les idées, dont ils parlent la langue. Ce principe répété mille fois : la littérature est l’expression de la société, n’est qu’un axiome sans valeur, comme tous ceux dont les termes ne sont pas définis. Quels mots plus vagues, plus capricieusement employés que ceux-ci : société, littérature !

Pour l’observateur attentif, toute population se subdivise en une mul-