Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/546

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
536
REVUE DES DEUX MONDES.

tion, la vie ; un luxe de couleur qui vous entraîne, une exubérance de sève qui déborde. Du reste, on le sait, elle n’idéalise guère ; et, pour se convaincre de cette vérité, il suffit de comparer un instant les madones de Raphaël avec les vierges de Murillo. Chez l’Italien, tout est pur, calme, réservé ; il s’exhale de ces lignes divines comme une vapeur mystérieuse qui environne la sainte personne, et la consacre plus encore que l’auréole suspendue au-dessus de son front. Chez l’Espagnol, au contraire, la femme vous préoccupe plus que la mère du Christ ; cette reine qui monte au ciel parmi des légions d’anges, n’a rien dépouillé de son humanité, et vous lance du milieu de son assomption glorieuse des regards de feu qui, certes, sont bien loin de vous inspirer le mépris des plaisirs de ce monde. Voilà pour quelle raison l’école espagnole me semble plus admirable lorsqu’elle s’attaque à des sujets de la vie monastique ; c’est dans cette œuvre qu’elle atteint son plus haut point d’originalité, et triomphe de toutes ses rivales. Pour faire d’une femme de sang et de chair, qui pose devant vous, la mère du fils de Dieu, il faut idéaliser, quoi que l’on puisse en dire. Or, il n’en est plus de même lorsqu’il s’agit de reproduire des têtes sur lesquelles les pratiques austères de la règle et l’habitude de l’extase ont gravé une expression qui n’est déjà plus celle de la vie humaine. En ces temps admirables de la peinture et de la poésie, le dogme catholique enserrait toutes choses, la nature se travaillait elle-même pour l’art.

Nous n’entreprendrons pas de décrire tous les trésors de la nouvelle galerie espagnole ; l’éclat de ces merveilles nous éblouit encore ; qu’il nous suffise de les indiquer en passant ; plus tard, nous reviendrons sur les détails. Que de noms splendides qu’on avait ignorés jusqu’à ce jour ! Il faut du temps pour distinguer les têtes au milieu de cette multitude d’hommes de génie, et compter les étoiles de cette voie lactée. Vous voyez se développer et grandir cette puissante école du midi, vous assistez à toutes les périodes qu’elle a traversées depuis son berceau jusqu’à sa fin. Les voici tous, ces sublimes apôtres de l’art, saluons-les en passant. Voici Moralès el Divino, qui n’a jamais reproduit sur la toile que la face du Christ, la seule qui se soit réfléchie en son ame ; Pedro Orrente, simple et grand comme la Bible, où il s’inspire ; don Juan Carreno de Miranda, le Van Dick de l’Espagne ; Lucas Jordan, qui a couvert l’Escorial de merveilleuses peintures ; Esteban March,