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GALERIE ESPAGNOLE AU LOUVRE.

en récompense de leur génie qu’elle adopte, la France leur donnera sa consécration, la seule durable, la seule éternelle. Qui pourrait donc se plaindre d’un tel pacte ? Ces tableaux, aujourd’hui notre richesse, s’effaçaient là-bas de jour en jour ; encore quelques années, ils n’étaient plus que poussière. Qu’on y songe bien, nous ne les enlevons pas à l’Espagne, mais au néant.

Il y a dix-huit mois, MM. Taylor et Dauzats partirent pour l’Espagne, chargés par la liste civile d’aller à la conquête des chefs d’œuvre de l’école de Madrid, de Séville et de Tolède. Depuis ce temps, ils ont parcouru l’Espagne en tout sens, tantôt séparés, tantôt ensemble, visitant les cloîtres abandonnés et les majorats envahis, et cherchant à travers les balles des carlistes la trace de Murillo ou de Zurbaran. Aujourd’hui qu’ils sont de retour avec leur butin magnifique, c’est plaisir de leur entendre raconter, tout en faisant les honneurs de la galerie nouvelle qui s’ordonne sous leurs yeux, les petites ruses dont ils se servaient pour conduire leur affaire à souhait. Ainsi, lorsqu’ils arrivaient dans un de ces couvens où toutes sortes de merveilles sont enfouies pêle-mêle et sans choix, les moines ne manquaient jamais de leur refuser net tout accommodement. Alors il fallait bien avoir recours à l’éloquence. On appelait à son aide la parole d’or de Chrysostôme, pour démontrer aux dignes pères que leurs tableaux tombaient en ruines, et qu’il était de toute nécessité de les faire réparer au plus vite ; et pour témoigner de son désintéressement, on allait même jusqu’à proposer de pourvoir à tous les frais de restauration, moyennant un tableau qu’on prendrait au hasard, comme une simple indemnité. Les moines, qui voyaient dans cet accommodement l’occasion de ne pas débourser un écu, finissaient toujours par accepter, et l’on s’en allait avec un tableau de plus. Or, on pense bien que le tableau pris au hasard ne manquait jamais d’être le meilleur de tous et le plus précieux ; et c’est ainsi, à force d’habileté, de dévouement et de persévérance, que les deux pélerins sont parvenus à composer avec un million la plus admirable galerie qui se puisse voir. Affronter les périls et les fatigues, parcourir les routes d’Espagne à dos de mulet, souffrir la faim et la soif au grand soleil, et s’exposer au poignard des bandits, et tout cela pour quelques tableaux que l’on rapporte à sa patrie ! Que l’on dise encore maintenant que l’art n’est pas une religion.

Le caractère de l’école espagnole, c’est la puissance, l’anima-