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LE SALON DU ROI.

fitable que l’achèvement d’une série de compositions. Pour peu, en effet, qu’on veuille bien réfléchir sur l’emploi des facultés humaines, il est facile de concevoir les motifs de notre conviction. Chaque fois que le peintre imagine un nouveau poème, chaque fois qu’il tente de reproduire sur la toile un épisode épique ou historique, une scène dramatique ou pastorale, il jette sa pensée dans un moule nouveau ; et lorsqu’il s’est assuré de la légitimité, de la sagesse de sa pensée, il se propose, pour l’expression de cette pensée, un style nouveau, une couleur nouvelle. S’il est doué de patience, s’il ne se hâte pas trop, s’il mesure prudemment les moyens et le but, il trouve le style et la couleur qui conviennent à sa volonté ; il produit un bel ouvrage. Mais dans ce perpétuel renouvellement de conceptions et d’efforts, il n’a pas le temps d’étudier et de surprendre les ressources du style qu’il a trouvé. Pour obéir au besoin d’invention qui le domine, il est presque forcé d’oublier chacune des œuvres accomplies à mesure qu’il entreprend une œuvre nouvelle. Quelle que soit la fécondité de son imagination, l’habileté, la docilité de sa main, il est condamné à de fréquens regrets ; à peine a-t-il touché la terre promise, la terre espérée, la terre conquise, à peine a-t-il contemplé la plaine et le fleuve rêvés, qu’il lui faut plier sa tente et partir pour un voyage incertain. C’est là une douleur profonde, que la foule ne soupçonne pas, mais qui use silencieusement la meilleure, la plus riche partie des facultés. La peinture monumentale, au contraire, en absorbant plusieurs années de la vie, en permettant à la volonté de s’épanouir sur de hautes murailles, accélère singulièrement l’éducation de l’artiste, et donne à son ame un contentement qui double ses forces. En possession d’un palais ou d’une église, d’un salon ou d’une chapelle, le peintre mesure ses méditations à l’étendue de sa tâche. Il ne craint pas de comparer long-temps et laborieusement les styles divers, les tons variés dont il peut disposer. Il sait qu’il a une longue carrière à fournir et il se prépare sans hâte à la lutte acceptée. Dès qu’il a pris son pinceau, il s’enferme dans son œuvre, il en fait l’horizon de son regard, l’aliment de toutes ses pensées, le but invariable de toutes ses espérances. Il oublie littéralement le mouvement qui s’accomplit autour de lui ; il abdique sa personnalité pour s’incarner à son œuvre. S’il a le bonheur de rencontrer le style qui convient au monument