Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/776

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
766
REVUE DES DEUX MONDES.

qu’il décore, le temps ne lui manque pas pour étudier, pour mener à bout toutes les ressources de cette manière nouvelle. Il se complaît utilement dans la figure qu’il vient d’achever, et dans la figure nouvelle qu’il entreprend il applique cette manière plus glorieusement encore. Il tire des procédés que la pratique lui révèle tout le parti possible ; peu à peu sa volonté se confond tellement avec sa puissance, sa main exécute si docilement ce que sa tête a résolu, que la faculté créatrice devient chez lui une pure habitude. Dans le cercle lumineux où il s’est enfermé, il goûte l’une des plus grandes joies qu’il soit donné à l’homme de ressentir : il se repose dans la conscience de sa force ; il comprend qu’il a voulu sagement et qu’il peut toute sa volonté. Cette joie n’est pas stérile ; il est facile d’y apercevoir autre chose que le triomphe d’un orgueil égoïste. Non-seulement c’est la juste récompense d’une vie laborieuse, mais c’est aussi le plus sûr moyen d’arriver à la grandeur, à la précision du style. Une fois en effet que l’artiste a connu cette joie si rare et si profonde, il brûle de la renouveler, et il retourne à son œuvre avec une vigueur inattendue. Ce qu’il a fait, il veut le faire encore, et il se familiarise si parfaitement avec le maniement de la ligne et de la couleur, il pétrit si facilement l’étendue et la lumière, que la peinture n’est bientôt plus qu’un jeu pour lui. Dans cette application uniforme et constante de ses facultés, il acquiert une clairvoyance, une sûreté de coup d’œil, que des compositions successives et diverses ne lui auraient jamais données. Quoi qu’il fasse désormais, il gouvernera son pinceau comme César gouvernait son armée. Il ira où il voudra et il sera sûr de toucher le but. Il a fait la grande guerre, il peut livrer bataille quand et comme il lui plaira. Il se connaît, il a mesuré ses forces, il est préparé à toutes les épreuves, et l’occasion, quelle qu’elle soit, ne le trouvera jamais au dépourvu.

Si nous avons retracé fidèlement ce qui se passe dans l’ame de l’artiste pendant l’exécution d’une composition monumentale, il est évident que ce genre de travaux est préférable à tous les autres, car non-seulement il agrandit la manière, il détermine le style et lui donne la précision sans laquelle les œuvres les plus belles ne peuvent être pleinement comprises ; mais il accroît l’estime de l’artiste pour lui-même ; ses efforts se multiplient en raison de la destination immuable assignée aux poèmes qu’il produira.