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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/28

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REVUE DES DEUX MONDES.

jeune fille, et mourir avec ignominie ? Vous êtes dans une grande erreur ; mais puisque vous le voulez, qu’il en soit ainsi.

Et s’étant tournée vers les sbires :

— Détachez-moi, leur dit-elle, et qu’on me lise l’interrogatoire de ma mère, j’approuverai ce qui doit être approuvé, et je nierai ce qui doit être nié.

Ainsi fut fait ; elle avoua tout ce qui était vrai[1]. Aussitôt on ôta les chaînes à tous, et parce qu’il y avait cinq mois qu’elle n’avait vu ses frères, elle voulut dîner avec eux, et ils passèrent tous quatre une journée fort gaie.

Mais le jour suivant ils furent séparés de nouveau ; les deux frères furent conduits à la prison de Tordinona, et les femmes restèrent à la prison Savella. Notre saint père le pape, ayant vu l’acte authentique contenant les aveux de tous, ordonna que sans délai ils fussent attachés à la queue de chevaux indomptés et ainsi mis à mort.

Rome entière frémit en apprenant cette décision rigoureuse. Un grand nombre de cardinaux et de princes allèrent se mettre à genoux devant le pape, le suppliant de permettre à ces malheureux de présenter leur défense.

— Et eux, ont-ils donné à leur vieux père le temps de présenter la sienne ? répondit le pape indigné.

Enfin, par grace spéciale, il voulut bien accorder un sursis de vingt-cinq jours. Aussitôt les premiers avocats de Rome se mirent à écrire dans cette cause qui avait rempli la ville de trouble et de pitié. Le vingt-cinquième jour, ils parurent tous ensemble devant sa sainteté. Nicolo De’Angelis parla le premier ; mais il avait à peine lu deux lignes de sa défense, que Clément VIII l’interrompit :

— Donc, dans Rome, s’écria-t-il, on trouve des hommes qui tuent leur père, et ensuite des avocats pour défendre ces hommes !

Tous restaient muets, lorsque Farinacci osa élever la voix.

— Très saint père, dit-il, nous ne sommes pas ici pour défendre le crime, mais pour prouver, si nous le pouvons, qu’un ou plusieurs de ces malheureux sont innocens du crime.

Le pape lui fit signe de parler et il parla trois grandes heures, après quoi le pape prit leurs écritures à tous et les renvoya. Comme ils s’en allaient, l’Altieri marchait le dernier ; il eut peur de s’être compromis, et alla se mettre à genoux devant le pape, disant : Je

  1. On trouve dans Farinacci plusieurs passages des aveux de Béatrix ; ils me semblent d’une simplicité touchante.