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LES CENCI.

ne pouvais pas faire moins que de paraître dans cette cause, étant avocat des pauvres. À quoi le pape répondit : Nous ne nous étonnons pas de vous, mais des autres.

Le pape ne voulut point se mettre au lit, mais passa toute la nuit à lire les plaidoyers des avocats, se faisant aider en ce travail par le cardinal de Saint-Marcel ; sa sainteté parut tellement touchée, que plusieurs conçurent quelque espoir pour la vie de ces malheureux. Afin de sauver les fils, les avocats rejetaient tout le crime sur Béatrix. Comme il était prouvé dans le procès que plusieurs fois son père avait employé la force dans un dessein criminel, les avocats espéraient que le meurtre lui serait pardonné, à elle, comme se trouvant dans le cas de légitime défense ; s’il en était ainsi, l’auteur principal du crime obtenant la vie, comment ses frères qui avaient été séduits par elle, pouvaient-ils être punis de mort ?

Après cette nuit donnée à ses devoirs de juge, Clément VIII ordonna que les accusés fussent reconduits en prison, et mis au secret. Cette circonstance donna de grandes espérances à Rome, qui dans toute cette cause ne voyait que Béatrix. Il était avéré qu’elle avait aimé monsignor Guerra, mais n’avait jamais transgressé les règles de la vertu la plus sévère : on ne pouvait donc, en véritable justice, lui imputer les crimes d’un monstre, et on la punirait parce qu’elle avait usé du droit de se défendre ! qu’eût-on fait si elle eût consenti ? Fallait-il que la justice humaine vint augmenter l’infortune d’une créature si aimable, si digne de pitié et déjà si malheureuse ? Après une vie si triste qui avait accumulé sur elle tous les genres de malheurs, avant qu’elle eût seize ans, n’avait-elle pas droit enfin à quelques jours moins affreux ? Chacun dans Rome semblait chargé de sa défense. N’eût-elle pas été pardonnée, si la première fois que François Cenci tenta le crime, elle l’eût poignardé ?

Le pape Clément VIII était doux et miséricordieux. Nous commencions à espérer qu’un peu honteux de la boutade qui lui avait fait interrompre le plaidoyer des avocats, il pardonnerait à qui avait repoussé la force par la force, non pas à la vérité, au moment du premier crime, mais lorsque l’on tentait de le commettre de nouveau. Rome toute entière était dans l’anxiété, lorsque le pape reçut la nouvelle de la mort violente de la marquise Constance Santa-Croce. Son fils Paul Santa-Croce venait de tuer à coups de poignard cette dame âgée de soixante ans, parce qu’elle ne voulait pas s’engager à le laisser héritier de tous ses biens. Le rapport ajoutait que Santa-Croce avait pris la fuite, et que l’on ne pouvait conserver l’espoir de