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LES CÉSARS.

lui défendit à jamais de rentrer, mais aux portes de cette ville, recevant les nouvelles d’un jour à l’autre, assistant ainsi au cours de sa justice, correspondant sans retard avec ses bourreaux.

J’ai poussé tout de suite les évènemens jusque-là. L’histoire de Séjan complète celle de la famille impériale, qui forme la partie extérieure, la partie dramatique de l’histoire de Tibère ; j’ai réduit tout cela à aussi peu de pages que j’ai pu ; et en voilà bien trop sur ces hideuses passions. Ce palais des Césars fut un vrai coupe-gorge domestique. Il n’y eut guère d’esprit de famille chez les rois avant le christianisme.

Mais ce sont là les faits et non pas les choses, les évènemens sans leurs principes, l’énigme sans le mot. Voyons quelle était la vie, l’ordre, l’économie sociale de l’empire. J’ai dit comment Tibère avait commencé par se faire humblement et obscurément administrateur, homme de police, justicier ; tout cela, il est vrai, avec la façon qu’y mettait son caractère sévère, rigoureux, renfrogné. Cependant il laissait peu à peu tomber les vieilles traditions qu’Auguste avait voulu relever. Auguste, avec son esprit de grace et de tempérament, n’en avait pas moins gêné, autant qu’il était en lui, la pente de son siècle ; Tibère, en lui laissant peu à peu reprendre son cours, ne lui en faisait pas moins une mine triste et grondeuse. Quand il s’agissait de quelqu’une des questions vitales de cette époque, des lois somptuaires, des lois sur le mariage, de toutes les bornes qu’Auguste avait voulu poser contre la décadence des mœurs romaines, et que chaque jour le reflux du siècle travaillait à renverser, Tibère prenait son front ridé, sa voix d’amertume et de reproche ; il parlait comme les vieux Appius ses ancêtres, et concluait cependant en faveur du siècle ; il lui ouvrait toujours quelque porte pour échapper à la prison dans laquelle Auguste avait voulu le renfermer, ou du moins il tenait entr’ouvertes celles que de vieux grondeurs, moins politiques que lui, auraient voulu tenir closes à toujours ; il ne voyait pas grand mal à ce que les fortunes et les illustrations, dont il avait toujours la même peur, se ruinassent en vases d’or, en habits de soie, en châteaux immenses, en multitudes d’esclaves ; à ce que les âpres et insatiables passions qui dévoraient la jeunesse, devinssent plus ardentes et plus amères, à ce que les haines de famille s’aigrissent, à ce que les grands noms vinssent se déshonorer et périr dans les dissensions domestiques, les empoisonnemens et les adultères. Tout cela ne gâtait rien à sa politique.

Mais il commençait à entrevoir, pour elle, un autre moyen d’ac-