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tion. Il y avait, sous la république, une loi Julia contre ceux qui auraient diminué la majesté du peuple. Qu’était-ce que diminuer la majesté du peuple ? Ce n’était rien, c’était tout ; c’était ce que nous appelons lèse-majesté, haute et petite trahison, crime politique, complot, mots vagues et indéfinis dont l’arbitraire généralité est nécessaire sans doute, puisque partout il y a dans les lois quelque chose comme cela.

Mais n’oublions pas que la patrie, que le peuple était dieu, divinité plus sévère que les bénins dieux de l’Olympe qui, eux, savaient entendre la plaisanterie ; la sédition ou le complot étaient donc en même temps une impiété, et les lois de majesté (ce mot-là même n’appartient qu’aux dieux) joignaient au vague des lois politiques la rigueur des lois de sacrilége. Un mot, un sourire pouvait être un blasphème envers le dieu aussi bien qu’une attaque à main armée était un attentat envers le souverain.

Quand finit la république, la divinité du peuple passa tout naturellement à l’empereur. Le César était la patrie incarnée, la patrie était dieu, César fut dieu, cela ne souffrit nulle difficulté. Dans l’antiquité, rien n’était à si bon marché que d’être immortel : depuis Hercule et Jupiter, c’était un petit plaisir qu’on ne faisait marchander à personne.

Voici donc l’empereur investi de toute la sainteté du peuple ; monarque à défendre contre la trahison, dieu à venger du sacrilége ; la loi Julia vint tout d’abord s’appliquer à la majesté des empereurs, et Tibère, consulté sur la question, n’eut qu’à répondre : « Observez les lois. »

D’ailleurs, comme cette loi frappait tout, elle pouvait servir aussi la justice, tout faire, même un peu de bien. — Des chevaliers obscurs et coupables, de riches publicains qui s’étaient engraissés dans les provinces, des gouverneurs qui avaient pillé (et on pillait tant), des femmes de grandes maisons dont Tibère aimait à publier les désordres, utilisant ainsi la vieille moralité romaine, qui faisait de l’adultère un crime capital, furent les premières victimes. — C’était un merveilleux légiste que Tibère, habile à trouver des ressources pour toutes ses passions dans l’arsenal des lois anciennes, à « cacher sous de vieux noms des accusations toutes nouvelles, » homme d’une religieuse légalité, parce qu’il savait que la légalité permet tout ; déjà cependant âpre à la justice, se cachant dans un coin du tribunal pour voir si son préteur châtiait bien.

Ainsi marcha-t-il humble et timide, tant que vécut Germanicus ;