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PUBLICISTES DE LA FRANCE.

et en surveilla l’expérience encore nouvelle avec plus de doute que d’hostilité ouverte. Mais il se fatigua bientôt de cette attitude. Quand tout le monde croyait à une guerre européenne, Carrel crut que la royauté nouvelle n’en soutiendrait pas le fardeau, et que la nation seule, se gouvernant par elle-même, pouvait encore tenir tête à la coalition des vieilles royautés légitimes. Derrière lui, cette opinion était déjà personnifiée dans un parti malheureusement enchaîné aux souvenirs et à l’imitation de l’épouvantable dictature de 93. Entre l’immense majorité, qui croyait la guerre imminente, et ce parti qui, pour la faire et la terminer glorieusement, parlait d’exhumer des archives de la commune et du comité de salut public le fantôme de la Terreur, Carrel proposa la théorie d’un pouvoir exécutif responsable n’ayant aucun intérêt qui ne lui fût commun avec le pays, et s’interdisant de sacrifier ses libertés même à sa défense. Il crut qu’il fallait rassurer la France en lui montrant que, si la guerre ou l’entraînement démocratique produit par la révolution de juillet devait emporter la royauté consentie, il y aurait entre elle et la désorganisation extrême une forme de gouvernement raisonnable et déjà éprouvée. C’était, dans son opinion, une voie de salut offerte à l’immense majorité de ceux qui ne veulent pas de l’indépendance sans la liberté, ni de la liberté sans l’indépendance. Telle a été la véritable pensée de Carrel. Je ne l’imagine pas ; je la lui ai entendu exposer avec une force et une lumière que toute mon amitié ne saurait donner à ce récit. Des diverses explications qu’on pourrait donner du passage de Carrel aux idées républicaines, celle-ci est la seule qui ait pour elle l’autorité d’aveux directs, de déclarations explicites de lui. Ce fut le fonds inépuisable de cette polémique de 1831 à 1832 qui donna autant de retentissement à une erreur de Carrel que tous les talens ralliés au gouvernement de 1830 en donnèrent aux réalités, quelquefois un peu plates, contre lesquelles elle se brisa.

L’Histoire de la contre-révolution en Angleterre n’augmenta pas beaucoup la réputation d’écrivain de Carrel. En lui tenant compte de la force d’esprit qu’avait demandée cet ouvrage, on n’y trouvait pas encore ce talent particulier d’expression auquel on reconnaît un écrivain. Ce ne fut qu’après la publication, dans la Revue Française, de deux articles étendus sur la guerre d’Espagne de 1823 que Carrel fut jugé digne de ce titre. C’est une opinion générale parmi ceux qui ont suivi avec attention cette vie si courte et si glorieuse, que son talent subit, à cette époque, une transformation inattendue, et que Carrel brisa l’obstacle qui l’empêchait de s’épanouir. Ces articles parurent