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DE L’ART RELIGIEUX EN FRANCE.

de face. La révolution de juillet, en portant le dernier coup à l’ancien régime dans le présent et l’avenir, a donné un nouvel élan à l’étude et à l’appréciation de l’ancienne France dans le passé, non pas le passé bâtard et inconséquent des derniers siècles, mais le passé de cette grande époque où le christianisme régnait sur l’ame et le corps de l’humanité. Le nouveau gouvernement s’est rangé franchement du côté du petit nombre d’hommes qui, inspirés par les éloquentes invectives de M. Victor Hugo, essayaient de lutter contre le torrent des dévastations. Usant avec une salutaire énergie de leur puissance, M. Guizot et ses successeurs à l’intérieur et à l’instruction publique ont étendu les bras immenses et inévitables de la centralisation pour arrêter le marteau municipal et la brosse fabricienne, en même temps qu’ils ont créé ou encouragé de vastes et importantes publications, destinées à tirer de la poussière et à révéler au pays les antiques trésors de son art national. Noble et bienfaisant exemple qu’il appartenait au pouvoir antérieur de donner, et qu’il faudra bien, Dieu merci, suivre à l’avenir. D’un autre côté, une étude de plus en plus approfondie de l’étranger a produit rapidement des résultats tout-à-fait inattendus. En voyant de plus près les mœurs et la science de l’Allemagne et de l’Angleterre, on s’est aperçu du profond respect, de la tendre sollicitude que ces grandes nations professent pour les monumens de leur passé ; la pensée s’est naturellement reportée sur la patrie, et on a reconnu, avec surprise et admiration, que la France renfermait encore dans ses villes de province des cathédrales plus belles, malgré le triste dénuement des unes et le fard ridicule des autres, que les plus célèbres cathédrales de l’Angleterre. On a trouvé dans la poudre de ses bibliothèques des poèmes plus originaux, plus inspirés que les épopées les plus populaires de l’Allemagne. On a vu encore les manuscrits de ces poèmes souvent ornés de miniatures plus fines, plus gracieuses que les plus vantées du Vatican. On est arrivé ainsi à comprendre et à découvrir que, même en France, il avait existé un autre art, une autre beauté que la beauté matérialiste et l’art païen du siècle de Louis XIV et de l’empire. Cette découverte renfermait implicitement celle de l’art religieux. Nous n’hésitons pas à employer ce mot de découverte, parce qu’une réhabilitation aussi complète, aussi fondamentale, que celle qui est exigée pour l’art religieux, vaut bien l’invention la plus difficile. Malheureusement cette découverte n’a guère été faite que par des gens de lettres ou des voyageurs. La faire passer dans la vie pratique, la faire reconnaître par les artistes ou ceux qui aspirent à le devenir, la faire comprendre par ceux qui commandent ou qui jugent les œuvres dites d’art religieux, c’est là le difficile ; mais c’est aussi là l’essentiel, car, à l’heure qu’il est, il n’y a pas d’art religieux en France ; et ce qui en porte le nom n’en est qu’une parodie dérisoire et sacrilége.

Ce n’est pas assurément que la matière de l’art religieux manque aujourd’hui en France plus qu’en aucun autre pays ou à aucune autre époque. Il y a une religion en France qui compte encore des millions de fidèles ; or, toute reli-