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l’Europe, il n’en est point, en revanche, où les opérations soient plus restreintes, les combinaisons nouvelles plus mal reçues. On a beaucoup ri de la confiance de ces capitalistes anglais qui achetèrent d’un Italien déguisé en cacique, des mines d’or dans l’Amérique du Sud, et qui y envoyèrent, à grands frais, une expédition qui ne put jamais découvrir les mines achetées. Les négocians de Nantes tomberaient facilement dans l’excès contraire ; offrez de leur vendre le Champ-de-Mars pour mille écus, et ils demanderont vingt-quatre heures pour y réfléchir !

C’est surtout cette couardise financière qui a déterminé la diminution progressive de leur commerce. À la ruine des colonies, la hardiesse et l’imagination leur ont manqué pour remplacer les relations qui s’anéantissaient, par d’autres relations plus fructueuses. En comparant leur inactivité actuelle à l’habileté dont ils firent preuve au moyen-âge, on aurait lieu de s’étonner si l’on ne savait qu’alors ce fut à des étrangers, et principalement à des Génois, que l’on dut cette impulsion qui continua à se faire sentir jusqu’à la fin du xviiie siècle.

L’abolition de la traite des noirs a surtout nui à l’importance commerciale de Nantes, qui s’était de bonne heure accoutumée à ce trafic, et qui y trouvait une source de richesses. On a tout dit sur cette question que les négrophiles ont réussi à rendre ridicule, ce qui semblait impossible ; mais bien que nous ne soyons nullement partisans des ventes de bois d’ébène, et que nous ayons frémi en visitant ces navires revenus de la traite et sentant encore la chair fraîche, en notre qualité de romancier, nous ne pouvons nous empêcher de regretter ces vieux commerçans négriers dont nous avons entendu raconter tant de curieuses choses.

Nous avons eu pourtant le bonheur d’en connaître deux qui vivent encore peut-être, et qui ont continué jusqu’au dernier instant un commerce auquel ils devaient leur fortune. Tous deux étaient des hommes pleins d’honneur, pères tendres, maris aimables, citoyens dévoués. Le plus vieux, catholique fervent, soutenait de bonne foi que la traite était une action méritoire devant Dieu, puisque par ce moyen les nègres étaient arrachés à l’idolâtrie. Ses noirs devenaient en effet chrétiens dès leur embarquement, et le capitaine avait ordre de leur conférer le baptême pendant que le contre-maître leur passait les menottes. Quant à l’autre, plus